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Entretien sur « le sport et l’Europe »

Depuis le 1er Janvier 2022, la France est à la tête de l’Europe. Elle représente les intérêts des 27 États membres face à la Commission et au Parlement européens. Pendant six mois, elle tentera de mettre en place un programme ambitieux : permettre à l’Europe d’être « puissante » et « souveraine ». A ce propos, nous pouvons légitimement nous interroger sur ses réelles orientations. Le sport en sera-t-il une des priorités ? Rien n’est moins sûr.

Aurélie Ledon, animatrice de radio et productrice de l’émission Fou 2 sport à Oryx FM, par ailleurs, docteur en sciences du sport, spécialiste de psychologie a interrogé Maître Michel Pautot, avocat au barreau de Marseille et auteur de l’ouvrage  « Le sport et l’Europe – les règles du jeu » (Territorial Editions) pour en savoir plus.

Aurélie Ledon et Me Michel Pautot, auteur de l’ouvrage « Le sport et l’Europe »

Aurélie Ledon : Depuis le 24 février, l’Europe est marquée par la guerre en Ukraine. Le milieu sportif a d’ailleurs réagi à l’offensive russe en Ukraine et a pris des mesures extrêmement fortes. Qu’en pensez-vous ?

Michel Pautot : Oui, le sport a riposté mais avant tout, nous souhaitons le retour de la paix et nous avons une pensée pour les victimes, leurs proches et leurs familles et tous ceux qui sont touchés par cette guerre. Aussitôt après l’invasion de l’Ukraine, les fédérations de football de la Pologne, de la Suède et de la République Tchèque ont dans un communiqué commun exprimé leur volonté ferme de ne pas disputer les barrages de Coupe du monde 2022 sur le territoire russe. Puis grand nombre de personnalités se sont positionnées pour des sanctions contre la Russie.

Des sportifs russes sont montés au créneau comme le tennisman Andrey Rublev ou le footballeur Fedor Smolov afin de sanctionner la Russie. Finalement, cette dernière a été exclue de la Coupe du Monde de football et d’autres sanctions ont été prises.

L’exemple du joueur de tennis russe Andrey Rublev est intéressant justement car avant l’invasion de l’Ukraine, il remportait l’Open 13 en simple et également en double avec un tennisman ukrainien Denys Molchanov. Un bel exemple symbolique en faveur de la paix. Le panel de mesures a été assez impressionnant. Le sport est important pour la Russie qui a organisé notamment en 2014 les Jeux d’hiver de Sotchi et la Coupe du monde de football 2018. Parmi les sanctions, le Championnat du monde de volley a été retiré à la Russie, les sportifs russes ont été exclus du Championnats du monde de patinage…

Le sponsoring a également été concerné

Des clubs européens ont rompu leurs contrats avec des sociétés russes comme Schalke 04 avec Gazprom, Manchester United avec Aeroflot… Les médias parlent également de Chelsea qui sera sans doute vendu en raison des sanctions économiques prises en Angleterre. Le sport a été utilisé comme une arme pour sanctionner mais il n’a pas été utilisé pour favoriser la paix.

C’est-à-dire ?

Le sport n’a pas été mis en avant pour tenter de pacifier les relations entre l’Ukraine et la Russie. A-t-on parlé du sport avant les évènements du 24 février ? Je ne pense pas. Le sport peut constituer une arme de rassemblement et de diplomatie, également. L’exemple le plus significatif est celui de la diplomatie du ping-pong qui, dans les années 1970, a permis des rencontres entre les dirigeants politiques des Etats-Unis et de la Chine alors que ceux-ci étaient en « froid ». Le ping pong a été à l’origine de la rencontre Richard Nixon – Mao Zedong.

Vous estimez donc que le sport aurait pu être utilisé pour éviter le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Mais avec le coronavirus, les relances des économies, le climat, certains peuvent légitimement penser que le sport n’est pas forcément prioritaire. 

L’actualité est primordiale et c’est vrai que depuis presque deux ans, la pandémie de coronavirus empoissonne nos vies et nous n’en connaissons pas encore toutes les conséquences. Le sport a subi de plein fouet les foudres du coronavirus avec des évènements annulés, reportés…. Deux évènements majeurs de 2020 ont été reportés à 2021 comme les Jeux Olympiques de Tokyo ou l’Euro de football. En revanche, les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin se sont tenus et si certains Etats ont opté pour le boycott diplomatique comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, le Président russe était présent à la cérémonie d’ouverture. 

Quelle est la place du sport dans la présidence française de l’Europe ?

Si l’on se réfère au programme des 18 prochains mois du Conseil, élaboré par les présidences française, tchèque et suédoise et par le haut représentant, président du Conseil des Affaires étrangères, publié le 10 décembre 2021, on relève que le sport est évoqué dans trois lignes seulement sur vingt-sept pages : « les trois présidences soutiendront les travaux visant à relancer le secteur du sport. Dans cette optique, elle mettra en avant le rôle du sport dans la société et sa capacité à contribuer à l’amélioration de la santé et du bien-être des citoyen s à une société plus inclusive », page 13 du programme.

C’est peu ?

Je suis de ceux qui pensent que c’est peu. Il n’y a pas de message fort envoyé en faveur du sport alors que les évènements sportifs vont être très nombreux en Europe. Paris va organiser les Jeux Olympiques et Paralympiques et l’Allemagne l’Euro de football. Nous devons nous mobiliser afin que 2024 soit déclarée « année européenne du sport ». De plus, les Coupes du monde de rugby à XV et à XIII vont se disputer en 2023 et 2025 en France. Et les prochains Jeux Olympiques d’hiver de 2026 seront à Milano et Cortina. Dommage que les présidences françaises, tchèque et suédoise soient quasiment muets sur le sport dans le programme précité.

Une « année européenne du sport » est-elle donc possible ?

Remontons le temps. Déjà, l’année 2004 avait été déclarée « année européenne de l’éducation par le sport » avec la tenue des Jeux Olympiques d’Athènes et l’Euro de football organisé au Portugal. 2024 peut donc être déclarée également « année européenne de l’éducation par le sport ». Et n’oublions pas que l’Europe est à l’origine du sport moderne (Angleterre, Pierre de Coubertin, Jules Rimet…).

Le sport peut-il relancer la construction européenne ?

Ce serait dommage de se priver du sport et c’est à nous, Européens, de multiplier les initiatives visant à promouvoir l’Europe. L’Euro de football 2020 disputé en 2021 dans plusieurs pays européens est un magnifique exemple. Dupliquons-le dans d’autres disciplines.

Vous avez lancé en 2021 l’idée d’un match amical annuel de football France – Allemagne lors de la journée franco-allemande, le 22 janvier. Cette idée est séduisante mais est-elle réalisable ?

Souhaitons-le. L’axe France-Allemagne est fort dans le processus de construction européenne, il peut en être de même dans le sport. Une grande initiative franco-allemande dans le sport pourrait être utile. Notre idée de match amical se situe dans cette perspective et si par bonheur, elle était actée, ce match France – Allemagne deviendrait alors avec les années le nouveau « crunch » (France – Angleterre en rugby) ou « Calcutta Cup » (Angleterre-Ecosse en rugby). Pourquoi pas ? Innovons et nous allons fêter dans quelques mois le quarantième anniversaire de la demie finale de Séville France – Rfa.

Donc, multiplier les rencontres européennes ?

L’organisation des Jeux Européens, dont les premiers ont été organisés à Bakou en 2015, par les Comités Olympiques Européens est une excellente promotion de l’Europe et de rapprochement des peuples. Les rencontres bilatérales voire trilatérales ou plus encore sont à privilégier. Des Euros de football ont été précédemment organisés à 2, Pays-Bas et Belgique en 2000, Autriche et Suisse en 2008, Pologne et Ukraine en 2012. La « journée de l’Europe » du 9 mai qui est l’anniversaire de la « déclaration Schuman » de 1950 peut être propice à de grands évènements Elle doit être déclarée « jour férié » et ce jour-là, pourront être organisées des rencontres non sportives et sportives entre européens, et pourquoi pas des finales de Coupes d’Europe.  Un poste de Commissaire européen aux sports à part entière doit être créé au sein de la Commission européenne, même si certains objecteront que le poste de Ministère des sports n’existe pas dans tous les pays européens.

Les migrations des joueurs dans les clubs en Europe sont nombreuses et c’est un point positif de de l’Union européenne

Elles participent à la construction de l’Europe avec des joueurs éparpillés dans les clubs européen. C’est beau, les arrêts Bosman, Malaja et autres sont passés par là. Si les joueurs sont aujourd’hui nombreux à évoluer à l’étranger, cela n’a pas toujours été le cas. Heureusement, il y a eu des pionniers. Raymond Kopa a fait partie de ceux-là en quittant le Stade de Reims pour rejoindre le Real Madrid de Ferenc Puskas et Alfredo di Stefano.

L’année passée, une grande fronde des politiques et du mouvement sportif s’est dressée contre le projet de la SuperLigue de football, censé favoriser les clubs les plus riches et les plus populaires. Qu’en pensez-vous ?

Le projet de SuperLigue dans le football n’a pas pu voir le jour en raison de l’opposition, farouche, qui en a découlé. Néanmoins, nous devons réfléchir à des nouvelles formules de compétitions. Le sport pour continuer à attirer les foules doit sans cesse innover. Le projet de SuperLigue a échoué, mais n’oublions pas que certaines compétitions fermées comme le Championnat de basket NBA et le tournoi des VI Nations de rugby font partie des plus prestigieuses au monde et sont extrêmement populaires. Le projet de SuperLigue n’était pas fermé à 100%.