legisport

1991 : fondation de LEGISPORT. 1996 : lancement du bulletin d'informations juridiques sportives LEGISPORT. Tout sur le droit du sport.

Entretien avec Thomas Reilly, Ambassadeur du Royaume-Uni

Thomas Reilly est Ambassadeur du Royaume-Uni.  Aujourd’hui à Covington, il est chef des politiques publiques. Passionné de sport, il répond aux questions de LEGISPORT.

Me Michel Pautot (LEGISPORT) avec Monsieur l’Ambassadeur Thomas Reilly

Question : Monsieur l’Ambassadeur Thomas Reilly, le Championnat de Premier League de football est considéré par les spécialistes comme le plus grand championnat national sportif du monde, tous sports confondus même si en 2024, aucun club anglais n’était en finale de la Ligue des Champions. Grand spectacle, belles ambiances, stades pleins… Cela a t-il été rendu possible grâce à la mondialisation des joueurs composant les effectifs de ses clubs ?

Réponse Thomas Reilly : La globalisation et la mondialisation ont fait grandir le championnat anglais de football. Pendant longtemps, les joueurs étrangers étaient issus des autres nations britanniques (Ecosse, Irlande du Nord, pays de Galles). Puis, la donne a changé avec les joueurs issus de l’Europe, l’Afrique, l’Asie, les Amériques du Sud et du Nord. Des joueurs de tous continents viennent. Les entraîneurs étrangers ont joué un rôle indéniable dans la promotion du Championnat comme Alex Ferguson (Ecosse). Ainsi, le visage des clubs anglais a changé,  ce qui permet le rayonnement de la Premier League par ses contrats, ses droits TV, les affluences, les clubs de supporters, les tournées des clubs dans le monde… Mais pour autant, le Real Madrid est régulièrement en finale de la Ligue des Champions (il est le recordman de victoires) et le classico contre le Barça est chaque année un évènement sportif mondial incontournable. L’Allemagne cette année est fort performante avec le Borussia Dortmund et le Bayer Leverkusen.

Souvent, l’idée de développer les talents nationaux est soutenue pour contrer la mondialisation des clubs !

Oui, c’est primordial. Il est important de penser aux talents nationaux, qu’ils soient joueurs et entraîneurs. A mon avis, il n’y a pas assez de défenseurs de nationalité anglaise en Premier League. Le Championnat anglais accueille des étrangers mais les joueurs anglais s’expatrient. C’est le cas notamment d’Harry Kane au Bayern de Munich ou de Jude Bellingham au Real Madrid. Ils y réussissent, à la manière d’un Kevin Keegan à la fin des années 1970 à Hambourg. Les migrations doivent jouer dans les deux sens.

Cette idée de développer les talents anglais au niveau des entraîneurs est pertinente. Pour 2023-2024, la Premier League est connue pour ses managers étrangers qui sont des stars, Pep Guardiola (Manchester City), Jurgen Klopp (Liverpool) notamment. Carlo Ancelotti a également entraîné en Angleterre il y a quelques années. Mais je me souviens qu’à la fin des années 1970 et dans les années 1980, Brian Clough et Bobby Robson étaient fort populaires, ils étaient anglais.

Ces deux managers anglais ont brillé, gagnant sur la scène européenne. Brian Clough a amené Nottingham Forest à la victoire en Coupe des Champions en 1979 et 1980. Bobby Robson a gagné avec Ipswich en 1981 la Coupe UEFA puis a pris les rênes de la sélection. D’autres anglais ont gagné en Europe. Bob Paisley  et Joe Fagan ont gagné la Coupe des Clubs Champions avec Liverpool en 1981 et 1984 (Bob Paisley a également gagné la même Coupe en 1977 et 1978), Tony Barton avec Aston Villa en 1982. Ajoutons Keith Burkinshaw avec Tottenham en 1984 (Coupe Uefa) et Howard Kendall avec Everton en 1985 (Coupe des Coupes). Une époque révolue depuis des années !

Avec le Brexit, beaucoup de commentateurs à l’étranger (dont en France) avaient misé sur un effondrement des clubs de football anglais. Il n’en a rien été. Comment expliquez-vous cette erreur de perception vis-à-vis du football anglais ?

C’est vrai que le Brexit a eu de nombreux effets dans les domaines politiques, commerciaux, économiques et également politiques. Le Brexit n’a pas eu de conséquences au niveau sportif, c’est certain. Manchester City a gagné en 2023 la Champions League et le Mondial des clubs. Mais comme vous l’avez souligné, il n’y a pas de clubs anglais en finale de la Champions League 2024. Faut-il en voir pour autant une conséquence du Brexit ? C’est moins sûr.

Le football est extrêmement populaire. Le rugby l’est aussi. L’Angleterre a été en demi-finale de la Coupe du monde de rugby 2023. Les joueurs anglais sont de plus en plus nombreux en France mais la Fédération anglaise de rugby est réticent à appeler en sélection les joueurs expatriés. Cette conception est-elle adaptée à la réalité de la mondialisation du sport ?

L’Angleterre a eu un parcours pas trop compliqué pour se hisser en demi-finale, à la différence de l’Irlande ou de la France qui sont, eux, « tombés » contre la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud en quarts de finale.  Oui, les joueurs anglais sont de plus en plus nombreux à évoluer dans le Top 14 en France. Ils sont tentés d’aller à l’étranger vers des clubs rémunérateurs. Mais la position d’être réticent vis-à-vis des joueurs expatriés ne prend pas en compte la mondialisation du rugby. Mais elle peut se comprendre pour différentes raisons (la durée du Championnat de France, les déplacements…).

L’Irlande a remporté le dernier tournoi des VI Nations. Cette équipe s’appuie sur des joueurs évoluant dans les clubs irlandais et sur le coach anglais Andy Farell. Les succès irlandais reposent-ils sur d’autres causes ?

L’Irlande brille maintenant depuis plusieurs saisons sur la scène du rugby. Plusieurs causes expliquent ses excellents résultats. Tout d’abord, il y a une grande génération de joueurs et avec les provinces (Leinster, Munster, Connacht, Ulster), les matches disputés par les Irlandais sont moins nombreux que ceux disputés par les Français par exemple. Les joueurs sont en contrat avec la Fédération  irlandaise et leur force, c’est que les joueurs se connaissent parfaitement bien depuis des années. D’autre part, le rugby à l’école, dans les collèges et les lycées est important. Le rugby est dans l’ADN des écoles.

L’Irlande est un magnifique exemple d’intégration. Il y a deux Irlandes au niveau politique (Irlande du Nord et Eire). Mais en rugby, il y a une seule Irlande. Comment le rugby a-t-il pu réussir cette unité ?

Le rugby a toujours eu une place à part en Irlande et c’est certain, les symboles sont forts en Irlande. Je me souviens qu’en 2007, le XV d’Angleterre avait affronté le XV d’Irlande à Croke Park à Dublin. Croke Park, c’est un symbole. Outre le lieu du centre du football gaélique, c’est également le lieu de la résistance irlandaise contre l’Angleterre.  Et ce jour-là, le XV de la Rose était déjà battu avant le match sous le poids de l’histoire. Et de tout temps, il y a eu de la part des Irlandais d’englober l’Irlande du Nord dans le rugby et d’agrandir le nombre de joueurs pratiquant le rugby. Ce qui a été amplifié par les accords de paix de 1988 qui a fait disparaître les frontières entre les deux Irlandes. Ainsi, il n’y a qu’une seule équipe de rugby mais pourquoi ne pas l’avoir étendu au football ? Il y a sans doute plus de folie dans le football.