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La lutte contre les piratages des contenus sportifs passe par la voie judiciaire

Marc REES, interviewé par LEGISPORT

LEGISPORT a rencontré Marc REES, juriste de formation, ancien rédacteur en chef du site internet « NEXT INPACT », aujourd’hui journaliste à « L’INFORMÉ », qui apporte ses commentaires sur une procédure de référé initiée par la SAS beIN SPORTS France qui concerne le blocage des sites et la lutte contre les piratages des contenus sportifs. Un entretien qui tombe à pic.

La décision de référé rendue par le Tribunal judicaire le 11 janvier 2022 « constate l’existence d’atteintes graves et répétées aux droits exclusifs de beIN SPORTS et ordonne le blocage des sites diffusant des matches sans autorisation ». Cette ordonnance de référé est-elle « fondatrice » ?

C’est effectivement une première dans la toute fraiche histoire de la loi 25 octobre 2021 relative à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. La justice a ordonné le blocage de 18 sites de streaming, à la demande de beIN SPORTS France. Les FAI (fournisseurs d’accès internet) doivent bloquer les sites identifiés à la date de l’ordonnance, mais également ceux non encore identifiés et signalés par l’Arcom, l’autorité fusionnant les pouvoirs de Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet) et du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel).

La procédure a été fondée sur l’article L.333-10 du Code du sport, introduit par la loi du 25 octobre 2021.

En effet, avec la loi du 25 octobre 2021, l’article L.333-10 du Code du sport institue un dispositif inédit taillé contre le streaming de compétitions sportives. Il permet à un détenteur de droits de faire bloquer non seulement les sites déjà identifiés, mais aussi ceux qui pourraient surgir au fil du calendrier de la même compétition sportive. En pratique, en cas d’« atteintes graves et répétées au droit d’exploitation audiovisuelle », les chaînes et les ligues sportives détentrices de ces droits peuvent saisir le président du Tribunal judiciaire pour engager une procédure de blocage à l’encontre des services en ligne « dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de compétitions ou manifestations sportives ». Après cette phase judiciaire, l’Arcom entre en scène dans une phase administrative. L’autorité peut réclamer le blocage des sites contournant la première décision en s’adressant cette fois directement aux FAI. Ce n’est qu’en cas de difficulté d’exécution qu’il faut revenir devant le juge initial.

Il convient donc de saisir le Tribunal, mais comment rapporter la preuve de cette diffusion sauvage ?

Cette démonstration passe nécessairement par la production de constats d’huissiers. Ils permettent d’apporter des éléments de preuves des violations des droits.

Dans l’affaire ayant donné lieu au prononcé de l’ordonnance du 11 janvier 2022, les constats étaient fort nombreux !C’est justement le nombre important des constats d’huissiers qui permet de vérifier l’ADN du site. Ils viennent forger la conviction du Tribunal qui peut alors juger que les sites en cause ont bien « pour objectif principal la diffusion de compétitions sportives sur une partie desquelles la société beIN Sports France jouit d’un droit exclusif d’exploitation », et que beIN Sports France est fondée à solliciter la prescription de mesures propres à prévenir ou faire cesser la violation de ses droits.

Comment s’effectue le blocage des sites ?

Pour l’heure, les FAI ont mis en œuvre un blocage DNS (Domain Name System). Très schématiquement, le DNS permet de transformer une adresse humainement compréhensible (exempletrucbidule.fr) en une adresse IP. En principe, ce pont est dressé par les serveurs DNS gérés par les FAI. Lors d’un blocage DNS, le fournisseur d’accès va simplement « mentir » et retourner une réponse invalide à l’internaute qui tente d’aller sur le nom de domaine visé par l’ordonnance. Bien entendu, cette pratique n’est efficace qu’à la condition que notre internaute n’utilise pas un serveur DNS alternatif, ce qui est très simple à configurer.  

Y a-t-il eu d’autres décisions similaires ?

Depuis la décision de janvier 2022, de nombreuses décisions ont ordonné le blocage de sites piratant la diffusion de la Coupe d’Afrique des Nations, les Ligue 1 et 2 de foot, le Top 14 de Rugby, la Ligue des Champions, Roland-Garros, la Formule 1, les Grands Prix moto ou la Premier League anglaise. En tout, près de 900 noms de domaine ont été bloqués.  Très récemment, le 17 novembre dernier, beIN Sports a sans surprise obtenu le blocage de plusieurs sites en prévision de la Coupe du Monde 2022, et ce pendant toute la durée de la compétition, soit jusqu’au 18 décembre 2022.

Le dispositif français peut-il être amélioré, car dans certains pays, les sites peuvent être bloqués sans passer par le juge ?

L’avantage d’une procédure purement administrative sera toujours sa rapidité et sa discrétion. Rappelons néanmoins que le blocage d’un site empêche les internautes d’accéder aux contenus litigieux, mais également aux éventuels autres contenus parfaitement licites. Un examen de proportionnalité est donc nécessaire pour limiter les risques d’atteinte aux libertés de communication, d’expression et d’information.  Et cet examen doit, en l’état, être mené par le juge, dans le cadre d’une procédure publique, à l’aide de ces multiples constats d’huissiers témoignant d’« atteintes graves et répétées au droit d’exploitation audiovisuelle ». Des améliorations peuvent toujours être envisagées dans le traitement post-décision, afin de fluidifier les procédures notamment en cas d’apparition d’un site de contournement, à quelques heures de la retransmission d’un match.

Contact : Marc REES, L’INFORMÉ. Mail : mrees@linforme.com