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Me Michel Pautot : « L’arrêt Malaja en demi-finale du Mondial de foot avec les joueurs du Maroc en Europe »

Lilia Malaja et son avocat Me Michel Pautot

Pour Me Michel Pautot, l’avocat à l’origine de l’arrêt Malaja : « l’arrêt Malaja est en demi-finale de la Coupe du monde de foot avec les joueurs du Maroc en Europe ».

Dans le communiqué ci-après, l’avocat marseillais explique pourquoi.

« Les joueurs du  Maroc, qualifiés pour la demie finale du Mondial 2022 sont éparpillés dans différents championnats européens. C’est le cas aussi des autres  joueurs africains alors que pendant longtemps, leur présence a été limitée au sein des clubs européens avec la politique fédérale des quotas, restrictions appliquées aux  joueurs étrangers, ce qui a constitué un frein à leur venue en Europe.

Cette possibilité de jouer en Europe a été élargie ces dernières années avec l’arrêt Malaja du Conseil d’Etat du 30 décembre 2002 faisant application d’un accord européen interdisant la discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail au profit de la basketteuse polonaise Lilia Malaja, interdite de jeu en France en raison justement de l’application des quotas. Cet arrêt Malaja a été qualifié à l’époque d’ «  arrêt Bosman à la puissance dix » par le président de la FIFA Sepp Blatter car ses conséquences sont très grandes. Les joueurs africains dont marocains  ont aussitôt bénéficié de cette liberté nouvelle qui a transformé la composition des équipes des clubs européens en particulier. 

Des « Lions de l’Atlas » dans les championnats européens 

L’exemple de la sélection marocaine mérite d’être présenté avec le comparatif 1986 – 2022.

Lorsque l’équipe nationale du Maroc a atteint les 8èmes  de finale de la Coupe du Monde 1986, ce qui à l’époque a constitué une première pour une sélection africaine, le nombre de joueurs évoluant en Europe était de cinq en Europe sur un effectif de 22 joueurs sélectionnés : 

-deux en Suisse : Moustapha El Haddaoui à Lausanne Sports, Aziz Bouderbala au FC Sion,

-et trois en France (Merry Krimau au Havre AC, Mustapha Merry à Valenciennes et Azzedine Armanallah à Besançon).

Lors de la Coupe du Monde 2022, la donne est complètement différente avec des joueurs évoluant dans divers championnats européens de football. Le Maroc a battu l’Espagne le 6 décembre en 8èmes de finale et cntre les joueurs espagnols, le gardien de but des Lions de l’Atlas Yassine Bounou qui joue au…FC Séville a été impérial et tous les passionnés de football ont en mémoire le sacré tir au but d’Achraf Hakimi, joueur du Paris Saint-Germain qui a porté précédemment les couleurs du Real Madrid, du Borussia Dortmund, de l’Inter Milan. En quarts de finale contre le Portugal c’est le joueur Youssef En – Nesyri du FC Séville qui a  marqué le but historique.

N’oublions pas la rencontre du 23 novembre contre la Croatie où le Maroc a débuté avec onze joueurs évoluant dans sept Championnats européens différents :

-Espagne : Yassine Bounou (FC Séville),     Youssef En – Nesyri (FC Séville),

-Allemagne : Noussair Mazraoui (Bayern Munich),

-Angleterre : Nayef Aguerd (West Ham), Hakim Ziyech (Chelsea),

-France : Achraf Hakimi (Paris Saint-Germain), Azzedine Ounahi (Angers), Sofiane Boufal (Angers),

-Italie : Sofyan Amrabat (Fiorentina),

-Belgique : Selim Amallah (Standard Liège),

-Turquie : Ghanem Saiss (Besiktas).

L’internationalisation de l’équipe nationale du Maroc n’est plus à démontrer et le sélectionneur Walid Regragui, franco-marocain, né en France, finaliste de la Coupe d’Afrique des Nations en 2004 en tant que joueur avec les Lions de l’Atlas, a d’ailleurs évolué en Europe et plus précisément en France, dans plusieurs clubs notamment à l’AC Ajaccio et en Espagne au Racing Santander.

Avec les accords européens !

Les joueurs marocains ne sont pas les seuls à exercer de plus en plus dans les clubs européens. L’Union européenne a signé des accords avec des Etats tiers dont les Etats du Maghreb et l’accord de Cotonou avec la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique contenant la même clause que celle invoquée dans l’affaire Malaja. Si bien que l’arrêt Malaja a mondialisé l’Europe du sport avec des nouvelles perspectives de recrutement pour les clubs européens qui n’hésitent plus à recruter abondamment des joueurs étrangers. 

Les vainqueurs de la Coupe d’Afrique des Nations comportent de plus en plus de joueurs en  Europe, comme par exemple, le Sénégal, vainqueur de l’édition de 2022 qui a débuté sa finale avec un onze de départ 100% expatrié en Europe. 

Si l’on prend en compte les joueurs des équipes africaines présentes à la Coupe du monde au Qatar, toutes ont des joueurs qui évoluent dans différents championnats européens, par exemple… :

-des joueurs sénégalais en Angleterre, Espagne, Allemagne, Italie, France…

-des joueurs camerounais en Italie, France, Grèce, Angleterre, Belgique, Italie, France, Allemagne…

-des joueurs ghanéens en Suisse, Belgique, Angleterre, France, Pays-Bas, Espagne…

-des joueurs tunisiens en Suisse, Italie, France, Danemark, Allemagne, Hongrie…

Arrêt Malaja, déjà 20 ans !

Le 30 décembre 2022, l’arrêt Malaja fêtera ses 20 ans et les conséquences sont nombreuses avec l’application des accords : le protectionnisme sportif a vécu, les lignes Maginot du sport ont explosé… Une sacrée victoire pour les droits des sportifs. Après la secousse de l’arrêt Bosman (1995) qui concernait seulement les joueurs communautaires, le combat de la basketteuse polonaise Lilia Malaja a engendré une seconde révolution, plus « mondiale », dans les effectifs des équipes. La palme de la mondialisation revient aux clubs anglais de football de la Premier League qui a su faire de cet élargissement une force d’attraction.

Le football n’est pas le seul concerné. En effet, qui n’a pas entendu parler des grandes  stars de l’Afrique du Sud dans les championnats de rugby, notamment en Angleterre et en France.  Si l’arrêt Malaja n’avait pas été rendu, les célèbres Champions du monde sud-africains auraient-ils joué en France ? Non. La visibilité a été exceptionnelle pour le rugby français grâce à ces joueurs.

A l’évidence, le combat que nous avons mené avec Lilia Malaja a complété et amplifié celui mené par le footballeur belge Jean-Marc Bosman. Il a indéniablement permis un changement des mentalités sur la perception des joueurs étrangers dans les équipes puis amplifié leur importance dans les équipes. 

Pendant des décennies, les joueurs étrangers étaient considérés comme étant susceptibles de prendre la place des joueurs nationaux, d’où les réglementations fédérales des quotas de joueurs étrangers. Vingt ans après le prononcé de l’arrêt Malaja, les clubs profitent de la mondialisation, l’arrivée des joueurs étrangers dans les équipes plaît aux supporters et les clubs européens de football sont devenus la place forte des transferts des joueurs. L’arrêt Malaja a indéniablement contribué à cette évolution appelée à perdurer. 

A l’origine de la procédure : Lilia Malaja perd son procès à Strasbourg, capitale de l’Europe… mais gagne à Nancy et au Conseil d’Etat

Le règlement de la Ligue féminine de basket-ball était le cœur du conflit. Il limitait à deux le nombre des joueuses extra-communautaires par club, c’est-à-dire non ressortissantes de l’Union européenne, qui à cette époque comptait 15 pays. La basketteuse polonaise Lilia Malaja est recrutée par le RC Strasbourg basket pro féminin mais en application des règlements, elle est  l’étrangère de trop, le club ayant déjà deux joueuses non-communautaires. L’agent de la basketteuse François Torres et le président du club Patrick Kramer nous demandent d’attaquer l’interdiction de jeu de Lilia Malaja.

Avocats à Marseille, nous avions eu l’occasion de traiter de nombreux cas sportifs, un domaine nouveau dans le monde juridique de l’époque. Nous avons alors évoqué les dispositions de l’accord d’association signé entre l’Union européenne et la Pologne, en particulier celles de l’article 37 qui interdisent la discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail. Nous demandions à ce que la polonaise soit considérée comme joueuse communautaire au sein de l’effectif du club, et donc non soumise à restriction.

Nous avions découvert l’existence des accords d’association et de coopération signés par l’Union européenne et des Etats tiers en préparant une thèse de doctorat en droit sur le thème du Sport et de l’Europe, soutenue en décembre 2000 à l’Université de Nice. L’Union européenne était engagée avec une centaine (Europe de l’Est, Maghreb, accord de Cotonou avec la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique).

A l’époque, ces accords étaient méconnus, notamment par les dirigeants sportifs. Nous saisissons alors la conférence des conciliateurs du Comité national olympique sportif français, préalable obligatoire avant la saisine du tribunal administratif. Devant le conciliateur du CNOSF, nous soutenons le droit de Lilia Malaja de jouer en qualité de joueuse communautaire, sans restriction, en application des dispositions de l’accord d’association au motif qu’elle dispose d’un titre de séjour régulier et d’un contrat de travail. Nous soutenons, à bon droit, la supériorité des dispositions d’un traité international sur la loi interne, et donc sur les règlements sportifs. Le conciliateur du CNOSF rend un avis favorable à nos prétentions le 7 octobre 1998.

La Fédération fait opposition, nous obligeant à saisir le tribunal administratif de Strasbourg qui, à la surprise générale, rejettera notre recours le 27 Janvier 1999. La révolution du sport à Strasbourg n’a pas lieu. Strasbourg, ville européenne s’il en est… Lors des audiences de Strasbourg, Lilia Malaja était présente, accompagnée de toutes ses coéquipières, venues la soutenir.

Nous interjetons appel et le 3 février 2000, la Cour administrative d’appel de Nancy juge illégale l’interdiction de jouer faite à Lilia Malaja par la FFBB. Le 30 décembre 2002, le Conseil d’État tranche définitivement le litige en confirmant l’arrêt du 3 février 2000 de la cour administrative d’appel de Nancy. Lilia Malaja a définitivement gagné. L’arrêt a été confirmé postérieurement par la Cour de Justice dans les arrêts Kolpak, Simutenkov, Khaveci.

Michel Pautot, avocat au barreau de Marseille, avocat de Lilia Malaja, auteur de l’ouvrage « Le sport et l’Europe-les règles du jeu » et des études LEGISPORT « Sport et Nationalités »

Mail : legisport@wanadoo.fr