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1991 : fondation de LEGISPORT. 1996 : lancement du bulletin d'informations juridiques sportives LEGISPORT. Tout sur le droit du sport.

Rencontre à l’UNESCO : entretien avec Philipp MULLER-WIRTH, chef de la section sport

Michel PAUTOT a rencontré Monsieur Philipp MULLER-WIRTH, Chef de la Section des sports (Secteur des Sciences sociales et humaines) de l’UNESCO à Paris, Place de Fontenoy pour un entretien paru dans les colonnes du bulletin d’informations juridiques sportives LEGISPORT n°157 (septembre-octobre 2022)

Le sport connaît depuis plusieurs années avec l’application de la législation européenne des migrations de joueurs de plus en plus importantes. Les grands clubs européens sont devenus cosmopolites. Comment percevez-vous cette internationalisation des clubs ?

En tant qu’agence des Nations unies cheffe de file dans le domaine du sport et de l’éducation physique, nous nous félicitons de la diversification des parties prenantes dans le sport. L’augmentation des joueurs non-européens dans les clubs mérite d’être saluée. Elle reflète un changement aussi bien dans l’attitude des clubs que dans les mentalités des législateurs européens et du public.

Cette visibilité et diversité des joueurs qui est le reflet naturel du processus de mondialisation permet également de sensibiliser le public à des phénomènes tels que le racisme. Avec l’internationalisation des clubs, qui se traduit par la multiplication des échanges de joueurs et un mercato plus intensif, les jeunes prêtent plus attention aux histoires personnelles des champions qu’ils suivent.

L’UNESCO est en pointe dans la lutte contre le racisme dans le sport.

C’est exact, l’UNESCO est très sensible à ce sujet. Nous avons travaillé avec la Juventus notamment. Un rapport intitulé « Quelles couleurs » a été publié et présenté à Paris il y a quelques années par notre Directrice-générale à l’époque, Irina Bokova, et le Président de la Juventus, Andrea Agnelli, pour établir une culture de la diversité dans le sport. Pour lutter contre le racisme dans le sport, nous devons également nous attarder sur le recrutement des jeunes joueurs issus de la diversité et/ou des pays dits du « Sud ». Pour le moment, seule une minorité de jeunes joueurs réussissent à haut niveau, il faut plus d’accompagnement pour ceux-là et renforcer les mécanismes et la législation pour mieux les protéger.

L’UNESCO, est une agence spécialisée des Nations Unies dont le but est de promouvoir la paix par la coopération avec l’éducation, la science et la culture. Elle s’est cependant vite intéressée au sport dès les années 1970,

pourquoi ?

Nous pouvons remonter plus en amont. La mission de l’UNESCO a toujours été très claire et ce dès sa création en 1947. Notre organisation vise à promouvoir la paix par l’éducation, la science et la culture. Et le sport a toujours été une partie importante de ces trois éléments car il touche tout autant les trois domaines de spécialisation de l’UNESCO.

Plus globalement, dans les années 1950, le sport et l’éducation physique ont gagné en importance et en considération. Trois phénomènes concomitants de l’après-guerre sont à prendre en compte aussi dans la (ré)organisation du sport. Avec la professionnalisation du sport, sa médiatisation et son internationalisation, le sport se démocratise et sort de la sphère réservée aux « gentlemen ».Pour revenir à l’UNESCO, en 1959, l’organisation créait une conférence internationale avec le gouvernement finlandais sur la contribution du sport aux capacités professionnelles et au développement culturel. Puis dans les années 1970, une fois le sport devenu commercial et mondial, les gouvernements se sont tournés vers l’UNESCO pour protéger et promouvoir le sport et son intégrité en tant que bien public. Ainsi, en 1976, l’UNESCO a organisé la première Conférence internationale des ministres et hauts fonctionnaires responsables de l’éducation physique et du sport (MINEPS).

L’année 2023 marquera la 7ème édition de cette conférence, à Baku en Azerbaïdjan, du 14 au 17 mars 2023.

Monsieur Philipp MULLER-WIRTH (Unesco)

En 1978, l’UNESCO est à l’origine d’une Charte internationale de l’éducation par le sport, indiquant un texte « unique » et « novateur ». Pourquoi ces qualifications ?

Nous parlions justement auparavant du MINEPS. Ce dernier a joué un rôle essentiel dans le développement de la Charte internationale de l’éducation physique et du sport en 1978. La charte a été adoptée en 1978 en tant que socle de droits, de valeurs et d’objectifs qui doivent constituer les fondements des politiques gouvernementales en matière de sport. La même année a été établi le Comité intergouvernemental pour l’éducation physique et le sport (CIGEPS). Il s’agissait de se doter d’instruments statutaires uniques au sein du système des Nations Unies car seule la Charte olympique représentait la perspective du mouvement sportif à l’époque, ce qui était évidemment trop limité. Il était important que les gouvernements conviennent de standards qui permettent ensuite de tendre vers un consensus global orientant les politiques sportives.


Depuis cette date, la Charte a-t-elle été révisée ?

Oui en 1991 puis en 2015, avec certains aspects novateurs. Une innovation tout d’abord dans le processus de révision : l’UNESCO a pu réunir autour de la table les gouvernements et le mouvement sportif (le CIO, le Comité paralympique international), des experts et professionnels gouvernementaux, des ONGs. C’était une première.

Nous avons inclus dans la charte certains principes fondamentaux comme l’égalité de genre à travers toutes les provisions, nous avons mis en avant la situation des personnes handicapées dans toutes les politiques et enfin fait en sorte que la Charte lance un appel à toutes les parties prenantes pour assurer que les programmes soient dûment suivis et évalués.

Et pour le dopage qu’en est-il ?

Contrairement à la charte précitée, la Convention internationale contre le dopage adoptée en 2001 est un standard juridique contraignant et, à ce jour, elle a été ratifiée par 192 Etats membres de l’UNESCO.

Elle est donc bien universelle et elle est un instrument extrêmement important pour promouvoir le fair-play et la lutte contre le trucage ou la tricherie.

La pandémie du coronavirus a-t-elle freiné vos ambitions ?

Vous savez que le sport a été fortement bousculé avec l’arrêt ou la suspension des activités sportives et compétitions. Cette pandémie nous a donné l’idée de lancer le programme « Fit for Life » (ou En forme pour la vie) en novembre 2021 pour faire en sorte que le plus grand nombre de personnes aient accès aux bénéfices que l’on peut tirer de la pratique sportive. Avec la pandémie, cet aspect est devenu encore plus important, si ce n’est critique, pour chacun. Nous avons des données solides et  prouvées scientifiquement qui démontrent que le sport est un moyen unique pour permettre de faire face à trois crises contemporaines qui sont la hausse de l’inactivité physique, la chute de la santé mentale et la multiplication des inégalités. Le programme « Fit for Life » vise à engager les gouvernements, le secteur privé et le mouvement sportif dans une alliance qui permet d’accroître les investissements consacrés au sport pour tous, plutôt délaissé et moins visible que le sport professionnel et olympique.


A deux ans des Jeux de Paris où l’UNESCO a son siège, quelles sont vos priorités ?

Nous travaillons étroitement avec les parties prenantes en charge des jeux olympiques : à savoir le ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques ainsi que le comité d’organisation des jeux olympiques, Paris 2024. Nous espérons que ces Jeux olympiques et paralympiques puissent servir de modèle pour des Jeux à la fois plus écologiquement responsables et plus orientés vers les retombées sociales pour la population, au-delà des athlètes participants. Nous sommes conscients que les efforts entrepris par Paris 2024 dans ces deux domaines sont extrêmement importants et s’inscrivent dans la durée, je pense notamment aux principes et standards particulièrement stricts en matière environnementale et de RSE que Paris 2024 applique à tous ses partenaires. Ce travail pionnier permettra de garantir un héritage durable et un impact à long terme des Jeux de 2024 qui bénéficieront bien évidemment à la France mais inspireront aussi les prochains pays organisateurs.


L’UNESCO promeut la paix mais l’Europe est marquée par la guerre en Ukraine. Des sanctions ont été prises contre la Russie et des mesures de boycott sont prises concernant les sportifs russes. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons constaté un élan particulier, exceptionnel et rapide du mouvement sportif face à ce conflit. Le sport est ainsi sorti de sa neutralité habituelle. À l’UNESCO, nous sommes gravement préoccupés par la situation de l’Ukraine, et nous avons pris un certain nombre des mesures afin d’assurer la protection de patrimoine et la continuité de l’éducation, qui sont deux des priorités de notre organisation. Notre directrice générale, Audrey Azoulay, a par ailleurs exprimé sa solidarité avec le peuple ukrainien et son engagement à le soutenir. À ce stade, notre organisation et toute notre famille des Nations Unies a pour objectif principal de stopper cette guerre pour que les souffrances des populations civiles puissent enfin prendre fin.

Contact : Philipp MULLER-WIRTH, Chef de la section des sports (Secteur des Sciences sociales et humaines), UNESCO, 7 Place de Fontenoy, Paris 7ème. Mail : p.muller-wirth@unesco.org