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1991 : fondation de LEGISPORT. 1996 : lancement du bulletin d'informations juridiques sportives LEGISPORT. Tout sur le droit du sport.

Le droit du sport avec « Signatures internationales »

Avec la revue « Signatures Internationales »,  l’Association Française des Docteurs en Droit, présidée par l’éminent juriste le Professeur Jacques Mestre, est à l’écoute du Monde. Et son numéro 4 (décembre 2021) est particulièrement intéressant, placé sous l’étude et l’expertise du droit du sport.

« Vaste thème dont l’actualité n’est plus à démontrer, depuis que les dimensions professionnelles et économiques di sport sont venues rejoindre une saine pratique sportive dont l’amateurisme traditionnel ne suscitait guère le contentieux, si ce n’est pour quelques affaires de responsabilité civile », estiment les Professeurs Frédéric Buy et Jacques Mestre ainsi que Madame Sandie Lacroix-de Sousa, maître de conférences HDR à l’Université d’Orléans et rédactrice en chef de Signatures Internationales.

LEGISPORT publie l’entretien de Me Michel Pautot, docteur en droit, membre de l’AFDD, avocat au barreau de Marseille, rédacteur en chef de LEGISPORT et auteur de l’ouvrage « Le sport et l’Europe » (Territorial éditions), réalisé par Madame Sandie Lacroix-de Sousa.

Madame Sandie Lacroix-de Sousa (SIGNATURES INTERNATIONALES) : Cher Maître, vous avez été l’un des tout premiers praticiens du droit du sport. Peut-on savoir ce qui vous a ainsi amené sur ce terrain ? 

R. : C’est tout simple. C’est par mon père Serge, avocat, il était également président du Comité régional de boxe et s’intéressait aux problèmes juridiques liés au sport. Un soir de l’année 1984, au bord du ring, il rencontre lors d’une compétition Pape Diouf qui à l’époque était journaliste à « La Marseillaise ». Le contact était immédiat, mon père avait fait son service militaire dans les « paras » au Sénégal et il l’a aidé à devenir agent sportif. Aussitôt après, les deux se sont investis dans ce nouvel univers juridique, s’occupant de la filière africaine pour les contrats et les transferts, notamment JosephAntoine Bell, le capitaine de l’OM en désaccord avec le boss de l’OM Bernard Tapie, François Omam-Biyik, Marcel Desailly, Henri Camara et bien d’autres encore. Pape Diouf, Joseph-Antoine Bell et mon père étaient montés au créneau avec succès pour les « vrais faux français ». Je suis devenu avocat en 1997 et comme j’aimais moimême le sport, j’ai préparé une thèse de doctorat de droit sur « le sport et l’Europe » soutenue en fin d’année 2000 sous la direction du Professeur Pierre Collomb de l’Université de Nice. C’était un sujet nouveau. Un agent de joueuses de basket nous a contacté pour nous exposer qu’une de ses joueuses était interdite de jeu par la fédérationau au motif que le club avait dépassé le nombre de joueuses non communautaires autorisées à jouer le Championnat qui était au nombre de deux. La basketteuse polonaise Lilia Malaja était la 3ème étrangère non-communautaire et 116 François Torres, son agent et le Président du club de Strasbourg Patrick Kramer nous ont demandé de contester l’interdiction de jeu de cette joueuse. 

Q : Et qu’avez-vous fait ? 

R. : C’est très simple. Comme je préparais ma thèse, j’ai découvert que l’Union européenne signait directement des accords avec des pays tiers, dont les accords d’association. Une disposition de ces accords était claire : il ne peut pas y avoir de discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail. Et ma cliente Lilia Malaja disposait d’un titre de séjour et d’un contrat de travail rémunéré. Donc, cette clause était applicable et il fallait l’invoquer dans notre procès. Ce que nous avons fait en saisissant la conférence des conciliateurs du Comité National Olympique et Sportif Français, préalable obligatoire à toute action contentieuse contre une Fédération. Fort d’un avis de conciliation favorable rendu par Jean-Claude Bonichot, nous avons saisi ensuite le Tribunal administratif de Strasbourg car la Fédération a fait opposition à la proposition de conciliation. Le Tribunal Administratif de Strasbourg nous donnait tort alors que Strasbourg était une des capitales de l’Europe…. Persuadés de gagner, nous avons fait appel et la Cour administrative d’appel de Nancy a réformé le jugement en nous donnant raison. La fédération a saisi le Conseil d’Etat qui le 30 décembre 2002 a confirmé l’arrêt d’appel. Le Président de la Fifa Sepp Blatter déclarait aussitôt qu’il s’agissait d’»un arrêt Bosman à la puissance dix » puisqu’il faisait éclater les réglementations de quotas de joueurs étrangers. C’était l’avènement d’un sport sans frontières et ce fut pour nous un grand succès. Nos activités dans le domaine du sport se développaient et j’avais fondé le bulletin Légisport avant de défendre Lilia Malaja, pour communiquer des informations aux clubs, dirigeants, sportifs, fédérations… Il s’agit d’une publication modeste mais néanmoins appréciée. 

Q. : Mais la liberté de circulation existait déjà dans l’Union européenne ! 

R. : Oui, des sportifs professionnels ressortissants de l’Union européenne avaient déjà saisi la Cour de Justice des Communautés Européennes qui a rendu trois arrêts faisant application du principe de libre circulation des travailleurs communautaires, règle essentielle du Traité de Rome : arrêts Walrave et Koch c/ Union du Cyclisme International du 12 décembre 1974, Donà du 14 juillet 1976 et Bosman du 15 117 décembre 1995. Ce dernier arrêt du nom du footballeur deviendra dans les médias célébrissime…et a mis fin aux quotas des joueurs communautaires. Puis, concernant les non communautaires, la révolution est venue des accords européens signés avec un grand nombre d’États tiers qui interdisent donc la discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail, accords applicables à tous dans le monde du sport professionnel. L’arrêt Malaja en est une parfaite illustration. Ensuite, les arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes Kolpak, Simutenkov et Kahveci des 8 mai 2003, 12 avril 2005 et 25 juillet 2008 confirment l’application des accords. Conséquences : les clubs professionnels s’internationalisent, tout comme la composition d’équipes nationales avec leurs joueurs expatriés, alors que pendant longtemps, la présence de joueurs étrangers a été limitée au sein des clubs par la réglementation sur les quotas, laquelle a « éclaté » avec le droit de l’Union européenne comme nous l’avons précisé. 

Q. : Dans le cadre de la revue Légisport, dont vous êtes le rédacteur en chef, vous vous intéressez particulièrement à la question des nationalités en particulier les migrations de joueurs dans les équipes de sport collectif. Pourquoi cet intérêt particulier ?

R. : L’arrêt Malaja a été mal interprété par certains qui avaient prédit une arrivée massive de « Charters de polonais »… Ce qui, à l’évidence, n’était pas très « sympa » pour tout ce qu’ont apporté à la France par exemple Marie Curie ou le footballeur Raymond Kopa, alors que l’arrêt Malaja, tout comme l’arrêt Bosman, constitue une phénoménale victoire pour les droits des sportifs… Alors, nous avons voulu réaliser une étude annuelle dans les sports collectifs pour mesurer l’arrivée des joueurs étrangers dans nos championnats nationaux et également dans les équipes étrangères. Bien nous a pris et nous recevons régulièrement des encouragements très forts. Cette étude qui est d’intérêt général porte sur les pourcentages de joueurs et entraineurs étrangers de sports collectifs (football, basket, handball, volley, rugby). Par exemple, il y a quelques années, il y avait plus de 50% de joueuses étrangères en Ligue A féminine de volley et si l’on compare l’évolution des joueurs expatriés à l’Euro de football, celle-ci est significative, ceux-ci passant de 4,54% (euro 1980) à 46,47% (euro 2012). Dans d’autres sports, la mondialisation est de mise. Plus de 30% des joueurs étaient de nationalité américaine, avions-nous comptabilisé il y a quelques années en Pro A en France. 

Q. : Avez-vous mesuré l’influence de ces joueurs étrangers sur les résultats sportifs ?

R. : Tout à fait. Prenons l’exemple de la journée du 24 Octobre 2021. Elle a été marquée par des « big » matches opposant des équipes prestigieuses dans divers championnats européens : en Angleterre, Manchester United – Liverpool FC (0-5) ; en Espagne, FC Barcelone – Real Madrid (1-2) et en Italie, Inter Milan – Juventus (1-1). Les joueurs étrangers y ont particulièrement brillé en inscrivant 10 des 11 buts. Impressionnant… Le seul but inscrit par un joueur national lors de ces affiches l’a été par Lucas Vazquez (Espagne) lors de la victoire du Real Madrid contre FC Barcelone (2-1) au Nou Camp. Le premier but madrilène a été inscrit par l’Autrichien David Alaba et l’Argentin Sergio Aguero est l’auteur du but du Barça. Le match Manchester United– Liverpool FC (0-5) est dans la légende du football anglais. Liverpool a été exceptionnel avec cinq buts à Old Trafford, le stade de Manchester United… Les buteurs de la victoire de Liverpool sont étrangers : Naby Keita (Guinée), Diogo Jota (Portugal) et Mohamed Salah (Egypte), éblouissant avec trois buts. A Milan, lors d’Inter-Juventus (1-1), l’Argentin de la Juve Paulo Dybala a répondu à Edin Dzeko (Bosnie). Des sélectionneurs des équipes nationales font de plus appel aux joueurs nationaux exerçant leurs talents à l’étranger, c’était le cas par exemples des sélections de France, de Croatie et de Belgique qui ont brillé à la Coupe du monde de football en 2018, ces sélections étant composées majoritairement de joueurs nationaux exerçant leurs talents dans les championnats étrangers. Bref, le sport est plus que jamais traversé par la mondialisation, bien que la finale de l’Euro 2020 disputé en 2021 « Angleterre – Italie » était moins « internationale », et nous devons être, comme juriste, un observateur avisé. 

Q. : À l’heure actuelle, quels sont, en droit du sport, vos principes centres d’intérêt et d’intervention ?

R. : Nous intervenons pour conseiller et défendre des sportifs et des structures sportives. Par exemple, pour les Fédérations, il y a des procédures de conciliation lorsqu’un licencié conteste une décision fédérale. Nous intervenons régulièrement au CNOSF puis nous gérons la poursuite de la procédure devant les Tribunaux 119 administratifs. De même, la pratique sportive n’est pas dépourvue de tout danger et nous intervenons régulièrement dans le contentieux des accidents sportifs, soit dans le cadre du risque pénal où l’auteur du dommage peut passer devant le Tribunal correctionnel, soit dans le cadre civil avec l’indemnisation de la victime, et dans ce cas, ce sera alors le juge judiciaire qui sera compétent. Et bien sûr, il y a le contentieux prud’hommal. Un joueur, un entraîneur peut contester son licenciement ou demander le paiement de son salaire. Et puis, enfin, reste l’activité de conseil où quotidiennement, nous sommes consultés sur telle ou telle question, par exemple, les contrats, le droit à l’image…. En réalité, on touche à toutes les matières du droit car l’activité sportive est transversale, elle concerne une multiplicité de situations différentes, donc les diverses matières du droit. 

Q. : Que conseilleriez-vous à un jeune docteur intéressé par le droit du sport ? La recherche ? L’activité en cabinet d’avocat ? Ou dans d’autres structures ? 

R. : Toutes à la fois, peut-on répondre. D’abord, l’Université s’est bien vite intéressée à organiser des enseignements de Droit du sport et l’exemple du Professeur JeanPierre Karaquillo est fondateur à Limoges, mais aussi l’Université de Paris avec l’avocate Sophie Dion qui organise un Master Professionnel droit du sport dans lequel nous intervenons sur le droit social et le droit européen. À Marseille, également, il existe un Centre de droit du sport et beaucoup d’autres Universités ont des enseignements sur cette matière. Ces Centres universitaires visent à la fois la recherche et l’enseignement. Ensuite, il y a l’activité en cabinet. Le contentieux du sport se développe et donne du travail aux avocats. Beaucoup de cabinets ouvrent en leur sein un département sport. Bien sûr, le jeune docteur en droit trouvera la matière à réaliser son envie de pratiquer le droit du sport, mais également il pourra trouver une place de responsable juridique au sein de fédérations sportives, il en existe plus d’une centaine, ainsi que dans les ligues professionnelles et les comités. N’oublions pas aussi les clubs. C’est vrai que le droit du sport ne s’est jamais autant développé que ces dernières années. Alors, effectivement, des jeunes peuvent se tourner vers la branche sport qui va continuer à croître et offrir des débouchés, puis aux postes de direction au sein de ces 120 institutions. Je ne regrette pas d’œuvrer dans cette matière qui est ouverte, concrète et évolutive. De quoi « s’enrichir » quotidiennement au contact de l’humain car le sport, c’est avant tout des hommes et des femmes.

Contact : Association Française des Docteurs en Droit

Président : Professeur Jacques Mestre

SIGNATURES INTERNATIONALES, revue électronique de l’AFDD accessible sur https//www.afdd.online