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Port du voile et pratique sportive

Maître Michel Pautot, docteur en droit et avocat au barreau de Marseille, en collaboration avec Manvel Arutunyan, juriste, Université Paris Panthéon, a rédigé cette note juridique concernant le port du voile et la pratique sportive.

Me Michel Pautot, docteur en droit et avocat au barreau de Marseille et Manvel Arutunyan, juriste, Université Paris Panthéon

I — La position des Fédérations Internationales

Tout d’abord, il est utile de connaître la position de certaines fédérations internationales sur le port du voile.

• Comité International Olympique (CIO) : l’article 50-2 de la Charte olympique dispose que « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». En pratique : le CIO laisse le choix aux fédérations sportives d’interdire ou d’accepter que les athlètes féminines se distinguent par des attributs vestimentaires compatibles avec leur religion. On a ainsi pu voir des athlètes voilées à l’occasion des JO de Londres (2012) et de Rio (2016).

• Basket : la Fédération internationale de basket-ball (Fiba) a fini par trancher en 2017. Après trois ans de négociations, l’organisation a décidé d’autoriser les basketteuses à porter le voile islamique lors des compétitions internationales.

• Football : depuis 2014, le port du voile est autorisé sur les terrains de football. Cette mesure fait suite à l’expérimentation entreprise par l’IFAB (International football association board), organe qui régit les lois de la discipline depuis 2012. Suite à cette décision, la Fifa (Fédération internationale de football) lève à son tour l’interdiction du couvre-chef sur les matchs de football internationaux. 

• Karaté : le comité exécutif de la Fédération mondiale de karaté approuve le port du voile sur les tatamis en 2013, après une expérimentation de deux ans. En permettant aux athlètes musulmanes de porter ce symbole religieux.

 • Athlétisme : aucune règle n’interdisant le port du voile, l’IAAF, instance mondiale de l’athlétisme, autorise le port du voile.

• Beach-volley : afin de promouvoir la discipline dans le monde, la Fédération internationale de volley-ball a assoupli ses règls en 2012. Depuis, les athlètes ne sont plus obligées de concourir en bikini, pièce jusqu’alors un incontournable de la discipline. Lors des Jeux olympiques de Londres, une Saoudienne participe aux épreuves vêtues d’un legging et d’un foulard islamique.

• Judo : sans autoriser officiellement le port du hijab, la Fédération internationale de judo a, elle aussi, fait un pas dans la même direction. En 2012, lors des Jeux olympiques de Londres, la question du port du voile sur les tatamis est vivement débattue. Pour la première fois, l’Arabie Saoudite envoie des athlètes féminines aux Jeux. Après délibération, la Fédération internationale de judo autorise à fouler le tatami, avec un bonnet sur la tête. «La solution adoptée garantit un bon équilibre entre la sécurité et les considérations culturelles», justifie alors l’organisation. 

• Handball : la fédération internationale de handball (IHF) autorise expressément, dans les règles du jeu de handball, le port d’un foulard (head scarve) à condition qu’il soit confectionné dans un matériau souple et élastique. 

II — La positions des autorités françaises et fédérations

1/ Le Gouvernement français

La position de certaines instances sportives internationales concernant le port du voile (notamment le CIO et la FIFA) a incité de nombreux parlementaires à interroger le Gouvernement français afin de connaitre sa position officielle sur le sujet.

Réponse du Ministère des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative publiée dans le JO Sénat du 11/04/2013 – page 1197

La position du Gouvernement est claire : on ne porte pas de voile pour faire du sport. Un terrain de football, un stade, un gymnase, un dojo ne sont pas des lieux d’expression politique ou religieuse. Ce sont des lieux de neutralité où doivent primer les valeurs du sport : l’égalité, la fraternité, l’impartialité, l’apprentissage du respect de l’arbitre, de soi-même et de celui d’autrui. Il appartient donc au mouvement sportif français de faire en sorte que les règlements respectent ces valeurs, tout en garantissant l’absence de discrimination et une stricte égalité hommes-femmes. En effet, nul ne doit être écarté de la pratique sportive en raison de ses opinions religieuses ou politiques. Le sport est un formidable levier d’intégration, de lutte contre l’échec scolaire, d’émancipation et de réduction des inégalités sociales et culturelles. Le Gouvernement et l’ensemble des acteurs du monde sportif restent vigilants, mobilisés et déterminés à empêcher que le sport ne devienne un lieu de tensions, de sexisme ou d’exclusion.

Guide du Ministère des sports intitulé « Laïcité dans le champ du sport – mieux vivre ensemble » (Mai 2019) :

A la question « Les ligues professionnelles sont-elles soumises au respect du principe de neutralité ? », la réponse suivante est apportée :

Oui, le plus souvent. Et ce, en application des articles L. 132-1 et L.131-9 (alinéa 9) du code du sport. En application de l’article L132-1 du code du sport, les fédérations délégataires peuvent créer une ligue professionnelle « en s’assurant que la ligue professionnelle fait usage des prérogatives qui lui sont subdéléguées, en vertu de l’article R. 132-12, pour fixer les règles régissant les compétitions qu’elle organise dans le respect de celles fixées par les statuts de la fédération et conformément à l’intérêt général de la discipline »35. L’article L.131-9 (alinéa 2) dispose quant à lui que les fédérations sportives agréées délégataires « ne peuvent déléguer tout ou partie de l’exercice des missions de service public qui leur sont confiées si ce n’est au bénéfice des ligues professionnelles constituées en application de l’article L.132-1 du code du sport ». En d’autres termes et même si elles poursuivent un but lucratif, les ligues professionnelles peuvent néanmoins exercer une mission de service public.

Quelles conséquences pour leurs personnels ? Le principe est celui de la neutralité lorsqu’elles sont délégataires d’une mission de service public à l’instar des personnels exerçant dans une fédération sportive.

L’Observatoire de la laïcité :

« La laïcité et le sport », extrait de l’intervention devant la FFF, mardi 5 avril 2016 –Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité

« Espace social : espace où l’on travaille ensemble, comme l’entreprise et l’association privées par exemple. La liberté de conscience et sa manifestation y sont garanties, sous réserve d’absence de prosélytisme, du respect des règles d’hygiène et de sécurité, mais aussi du respect de la bonne marche de l’entreprise ou de l’association ».

« Dans le secteur privé, dans l’entreprise ou l’association par exemple (y compris une association sportive d’amateurs), secteur où bien sûr le principe de neutralité ne s’applique pas parce qu’on ne représente pas l’administration et donc cette entité qui rassemble tous les citoyens quelles que soient leurs convictions, il y a un point commun aux réponses qui doivent être apportées : la justification objective. Le ressenti et la subjectivité ne doivent pas être des critères, car s’il n’y a aucun trouble objectif et si la mission du salarié est parfaitement remplie, sanctionner ce qui serait alors une simple apparence relèverait de la discrimination. En revanche, la manifestation du fait religieux peut être encadrée voire même interdite pour des raisons objectives d’hygiène et de sécurité, ou tout simplement de bonne marche de l’entreprise ou de l’association (qui ne saurait être perturbée). »

« La principale raison à se poser est donc la suivante : est-ce que cette manifestation du fait religieux par un usager ou par un joueur, perturbe ou non le bon fonctionnement de ma structure sportive, ou s’oppose aux règles du sport lui-même ? L’attitude à adopter dépendra bien sûr de la réponse. S’il y a perturbation objective ou opposition avec les règles de la fédération, il peut y avoir interdiction, car celle- ci sera justifiée et proportionnée ».

Rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité 2015-2016

« Le port de signes religieux : Le port de signes religieux ne doit pas aller à l’encontre des règles d’hygiène et de sécurité.

Cas concret : Cela suppose de veiller à la compatibilité entre le port du signe et le respect des règles d’hygiène et de sécurité dans le cas de certaines activités, comme par exemple, en cas d’activités physiques et sportives.

Sur de nombreux terrains, les équipes de professionnels gèrent les comportements liés àla visibilité au cas par cas, dans l’objectif que le port d’un signe ne provoque pas de séparation entre les jeunes (entre filles et garçons mais aussi entre filles), ni de pression entre jeunes ou de refus pour effectuer telle ou telle activité.

Si une interdiction générale n’est pas conforme au principe de la liberté de religion ou de conviction, un comportement accompagnant le port de signe d’un usager ne doit ni troubler le fonctionnement normal de l’établissement et des services, ni porter atteinte à la liberté d’autrui ».

2/ Le CNOSF et quelques fédérations françaises 

D’abord, Monsieur Denis Masseglia, Président du CNOSF déclarait avant les jeux Olympiques de Londres : « il vaut mieux que les femmes qui ne peuvent pratiquer un sport que voilé, participent aux compétitions plutôt que de rester chez elles même si cela choque dans un pays laïc comme le nôtre » et il ajoute : « le CIO a choisi l’ouverture, il réagit en terme d’ universalité et de respect de la culture de chacun. Arrêtons de tout voir à travers le prisme franco – français ». In elle-Info, du 29 Juin 2012, Voile sur le sport, avec Isabelle Duriez et Isabelle Sansonnneti.

Voici également les positions de certaines Fédérations sportives françaises :

• Fédération Française de Football : malgré l’autorisation du port du voile et du turban par la FIFA, la FFF se conforme à la position du Gouvernement français en continuant de maintenir l’interdiction du port de tous signes religieux ou confessionnels afin de respecter les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent en France.

Communiqué de la FF : « En ce qui concerne la participation des sélections nationales françaises dans des compétitions internationales d’une part, ainsi que l’organisation des compétitions nationales d’autre part, la Fédération française de football rappelle son souci de respecter les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent dans notre pays et qui figurent dans ses statuts »

• Fédération Française de Basket : bien que la fédération internationale autorise, la FFB refuse… Celle-ci n’évoque pas la laïcité comme raison mais des questions de sécurité comme le risque d’étranglement par le foulard. « Ces dangers potentiels, qu’ils soient minimes ou pas, sont réels. La Fédération de basket ne peut pas tolérer le risque qu’un jour une jeune fille se blesse durement ou mette sa vie en danger pour une question de religion qui n’a rien à faire sur un terrain. »

• La Fédération Française de Handball autorise, mais le foulard autour du cou est interdit, comme le sont les chaines et les colliers, au regard de l’impératif de sécurité.

III — Le droit positif, c’est-à-dire l’état actuel du droit français

1/ Que dit exactement la loi du 9 décembre 1905 ?

Cette loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat qui constitue le socle juridique de la conception française de la laïcité, a :

– pour objet de garantir la neutralité de l’État vis-à-vis des convictions de chacun

– favorisé la reconnaissance et la diversité des religions et de leur expression dans le respect des convictions de chacun.

Conséquence : interdire à quelqu’un d’exprimer ses convictions (notamment religieuses) est contraire à la conception française de la laïcité telle que prévue aujourd’hui par la loi du 9 décembre 1905 et pourrait être constitutif d’un délit de discrimination.

2/ Existe-t-il des limites ?

• Limite 1  : le trouble à l’ordre public, qui peut revêtir différentes formes comme la tranquillité publique, la sécurité publique, la santé publique

Ex : loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (relative à l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public).

NB : la loi de 2010 n’a pas pour fondement le principe de laïcité mais ceux de sécurité publique et d’interaction sociale.

• Limite 2 : le devoir du respect du principe de neutralité

Champ d’application : il ne s’applique qu’aux agents des trois fonctions publiques et, de façon générale, à tous les personnels de droit public ou privé qui exercent une mission de service public.

Nous renvoyons au passage précité du Guide du Ministère des sports.

3/ Le champ du sport et de l’animation est-il concerné par ce débat ?

Oui. Il n’existe pas de boîte à outils livrée clé en mains récapitulant les attitudes àadopter face à telle ou telle situation. Il faut adopter une logique de bon sens alliant rappel du cadre juridique (nécessité de faire respecter le droit) et l’écoute.

Incompatibilité entre l’expression de la conviction de la personne et la pratique sportive : ceci renvoie à la sécurité de la personne mais aussi de la structure (ou organisateur en termes de responsabilité). Partir de ces arguments et voir quelles alternatives pourraient être utilisées

Ex : une discipline ou une pratique qui rendent délicats le port du voile, devrait proposer des alternatives du type port de bandana pour éviter toute discrimination ou ségrégation.

Bien qu’étant des associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative à la liberté d’association, les fédérations sportives délégataires et les fédérations sportives agréées sont soumises au principe de neutralité car elles exercent une mission de service public en application des articles précités du code du sport (Cf. fiche 3 : articles L.131-9 et L.131-14 du code du sport).

Une fédération sportive est une union d’associations sportives (régie par la loi de 1901), dont l’objet est de rassembler les groupements sportifs qui y sont affiliés ainsi que les licenciés, dans le but d’organiser la pratique sportive à travers notamment les compétitions. Les fédérations peuvent être agréées par le ministère : la loi leur reconnaît alors une mission de service public. Parmi elles, certaines reçoivent une délégation pour organiser la pratique d’une discipline sportive. Elles passent avec l’État un contrat permanent autorisant l’organisation de compétitions

Pour les sportifs de haut-niveau et les sportifs professionnels en équipe nationale, l’article L221-1 du code du sport dispose : « Les sportifs, entraîneurs, arbitres et juges sportifs de haut niveau concourent, par leur activité, au rayonnement de la Nation et à la promotion des valeurs du sport ». Des restrictions à la liberté de manifester leurs convictions peuvent leur être opposées sur cette base. S’ils sont salariés de la fédération délégataire de service public, ils sont soumis au principe de neutralité.

4/ Quelle articulation entre la réglementation d’une fédération internationale et la réglementation d’une fédération nationale sur la question ?

Le juge français ne reconnaît pas une applicabilité directe du règlement sportif international sur notre territoire. Ce sont aux instances nationales de les reprendre à leur compte (dictionnaire juridique du Sport- P.177- Dalloz-2013). Est citée une jurisprudence du Conseil d’État du 8 novembre 2006 M.A contre Fédération Française de Football-N° 289702 : « M. A fait valoir que la décision du 7 décembre 2005 de la commission des agents sportifs est contraire à l’article 5 du « Règlement gouvernant l’activité des agents de joueurs » édicté par la Fédération internationale de football association, qui prévoit notamment que « les associations nationales doivent organiser des examens écrits deux fois par an » ; que, toutefois, eu égard à l’absence d’effet direct en droit interne de la réglementation des fédérations sportives internationales, ces dispositions sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; »

Néanmoins, la question est autre si une compétition internationale est organisée sur le territoire français. Le règlement international prime sur le règlement de la fédération nationale, dans le cadre d’une compétition qui relève du premier, notamment en ce qui concerne l’encadrement éventuel de la manifestation des convictions. »

Important

Certaines fédérations sportives internationales peuvent accepter le port de certains signes distinctifs (par exemple : port d’un couvre-chef considéré, au niveau national, comme ayant un caractère religieux). Néanmoins, ce n’est pas le motif cultuel qui alors est mis en avant mais le motif culturel.

5/ Synthèse

Le port du voile…

• Est autorisé lors des compétitions sportives par le CIO et certaines fédérations internationales.

• En France, est prohibé dans l’espace administratif (État, collectivités locales et services publics).

NB : Les fédérations sportives agréées sont délégataires d’une mission de service public et à ce titre, elles sont considérées comme des organismes privés en charge d’un service public.

Les agents publics et tous ceux, même de droit privé, qui y exercent une mission de service public, sont soumis au principe de neutralité.

• N’est pas expressément prohibé dans l’espace social (entreprises/associations) : aucune norme de droit interne ne restreint la liberté de religion ou de conviction au sein des activités associatives.

Tempérament : cette liberté est garantie mais des mesures restrictives peuvent être prises par l’association :  – Si elles sont justifiées

Exemples de motifs dans lesquels des limites peuvent être apportées à la liberté de croyance et de pratique religieuse :

― le prosélytisme actif ;

― l’hygiène et la sécurité ;

― un comportement ou une conviction susceptible de porter atteinte à l’intérêt de l’entreprise ou à son activité.

-Si elles sont proportionnées.

Me Michel Pautot, docteur en droit, avocat au barreau de Marseille et Manvel Arutunyan, juriste, Université Paris Panthéon

Fait à Marseille le 2 Mars 2021

Michel PAUTOT, Docteur en droit, avocat au barreau de Marseille

En collaboration avec Manvel ARUTUNYAN, juriste, Université Paris Panthéon