L’HISTOIRE D’UNE BOXEUSE DEVENUE BOXEUR
Me Michel Pautot et Maho Bah Villemagne
Nous avons accompagné Maho Bah Villemagne dans son combat personnel et également en faveur de l’insertion des sportifs transgenres dans les compétitions. Il met en lumière son itinéraire et comment son ressenti a percuté sa vie pour obtenir une nouvelle identité et s’exprime sur son vécu, sa transformation et ses ambitions.
Question : Bonjour Maho, lors de notre première rencontre, vous nous avez déclaré : « je suis un homme transgenre ! ». Passé l’effet de surprise, pouvez-nous dire ce que cela signifie.
Réponse Maho Bah Villemagne : Mon genre ne correspondait pas au sexe que l’on m’avait assigné à la naissance et qui figurait sur ma carte d’identité (le sexe féminin). Malgré de nombreux essais, de nombreux efforts pour rentrer dans la norme sociétale et m’accepter tel que je le devrais, selon les codes de la société qui m’ont pourtant été inculqués durant toute mon éducation, je ne me suis jamais reconnu dans le genre féminin. J’ai toujours su que je n’étais pas comme les autres “filles”.
Durant toutes ces années, vous avez eu l’impression de ressentir les choses différemment d’elles ?
Réponse : Oui, déjà quand j’étais enfant, j’ai usurpé l’identité de mon voisin afin de me faire passer pour un homme sur les réseaux sociaux. J’ai fait ça dès mes 13 ans à 16 ans… Jusqu’à l’intervention des adultes responsables. Puis à mes 19 ans j’ai rencontré une femme qui m’a dit que j’étais “ beau” au lieu de “belle” et on a tous les deux compris que c’était comme ça que je me sentais et que je voulais être reconnu depuis le début. Depuis ce jour, j’ai petit à petit demandé à tout le monde d’être genré au masculin au lieu du féminin.
Comment vous avez publiquement indiqué votre désir de changement de sexe, donc d’état civil ?
D’abord dans mes relations intimes puis je l’ai étendu aux amis, à la famille, dans ma salle de sport, au travail. Jusqu’à en changer mon prénom officiellement en 2021. Tout le monde autour de moi était au courant que je suis un homme : par exemple, je l’assume entièrement dans mes relations sociales dans mes activités associatives diverses. J’étais d’ailleurs perçu comme un homme tant que mes papiers d’identités n’étaient pas demandés.
D’un point de vue médical, qu’avez-vous fait ?
J’ai fait une mammectomie et je prends des hormones masculinisantes (la testostérone) depuis plus de 2 ans. Cependant, chaque démarche de la vie quotidienne m’a poussé au fil des années à me rendre à l’évidence de l’handicap que créait cette discordance entre ce que je suis (un homme) et ce que l’on m’a imposé à la naissance (être une femme).
Si je comprends bien, vous êtes plus que convaincu de ce vous êtes réellement ?
Tout à fait et c’est en 2020 que ma transition sociale à réellement commencé. J’ai ressenti un réel déclic et une euphorie immense quand pour la première fois on m’a reconnu en tant qu’homme dans une soirée non LGBTQIA+ (Lesbian gay bi trans queer intersexe asexuel l+), mais plutôt très hétéronormé. Ce fût pour moi une révélation que des personnes extérieures qui ne me connaissaient pas du tout m’aient naturellement genré au masculin. C’était la première fois que j’avais vraiment l’impression que l’on me voyait tel que j’étais et non tel que j’étais censé être.
Il fallait donc que vous changiez de sexe à l’état civil ?
Changer de mention de sexe me permettait d’être enfin reconnu comme l’homme que je suis, sachant que la plupart des instances se questionnent surtout sur le pourquoi ce “F” sur ma carte d’identité plutôt que l’inverse… Je devais sans arrêt me justifier et expliquer que c’est écrit “madame” sur mes papiers mais que je suis bien “monsieur”… Les conséquences sur ma santé mentale commençaient à apparaître, chaque rendez-vous médical ou simple contrôle policier de routine se transformaient en une submergente source d’angoisse. Au point de ne pas me rendre à certains rendez-vous…
Chercher un travail devenait une source d’angoisse car étant perçu comme un homme je devais forcément justifier ce que je suis et cela m’épuisait, me faisait trop mal.
Ainsi, il devenait impératif de changer la mention ?
Changer la mention de sexe sur ma carte d’identité devenait de l’ordre de la survie, car chaque fois que je devais sortir mes papiers j’en fais une crise d’angoisse et quasi-systématiquement une insomnie. J’avais besoin d’être reconnu, de m’aimer et de ne plus avoir à expliquer ce qui est pourtant une évidence pour nombre de mes proches et des personnes en général. Il n’y avait que la mention “F” sur mes papiers (sur ma carte d’identité, mais aussi mon passeport, ma carte professionnelle, ma carte vitale, ma mutuelle…).
Alors, vous avez saisi le Tribunal ?
J’avais appris qu’il y avait des lois aujourd’hui qui permettaient de modifier la mention de sexe à l’état civil. J’ai donc déposé mon dossier au Tribunal et un jugement a été rendu favorablement.
Je suis heureux de vous lire le dispositif du jugement du Tribunal Judiciaire de Marseille : « rectifie l’acte de naissance de Maho Bah Villemagne née le 15 avril 1994 à Hyères en ce sens qu’il convient de remplacer les mentions suivantes :
-« du sexe féminin » par la mention « du sexe masculin »,
-« est née » par la mention « est né ».
Ordonne mention de ces rectifications en marge de l’acte de naissance susmentionné, dont il ne pourra plus être délivré extrait ou copie sans contenir mention de ladite décision ».
Vous êtes devenu aujourd’hui un homme heureux ?
Oui, mais tout n’est pas terminé. Outre la transcription du jugement de sexe à l’état civil, ce qui ne pose aucun problème, comme dans l’exercice de ma profession, j’avais cependant une activité physique importante. J’étais Championne de France militaire, vice-championne de France amateur de la Fédération Française de Boxe, je veux à présent continuer de boxer, mais dans la catégorie Hommes.
Donc, vous allez reboxer mais cette fois-ci dans la catégorie « Hommes ». C’est un bonheur ?
Oui, grâce à vous et votre demande à la Fédération Française de Boxe. Le Président Dominique Nato a bien compris et les membres du comité directeur également qu’il fallait apporter une réponse aux sportifs qui ont changé d’identité. Alors, je vais pouvoir boxer en catégorie « Hommes ». C’est un bonheur et c’est un défi également. Dommage cependant que votre courrier adressé au Ministère des sports soit, à ce jour de notre entretien, resté sans réponse, malgré la loi. Et pourtant le milieu sportif n’est pas exempt de ces questions. Me concernant, c’est le premier round victorieux.