Jean-Michel Brun, Membre Exécutif des Comités Olympiques Européens (COE) et Secrétaire Général du Comité National Olympique et Sportif Français a bien voulu nous recevoir à la Maison du Sport Français à Paris le 28 Janvier 2021.
Monsieur Jean-Michel Brun, vous représentez la France aux Comités Olympiques Européens. Quelle est sa création et son rôle ?
C’est de l’union des CNO du monde entier qu’est née l’Association des Comités Nationaux Olympiques Européens (ACNOE) en 1968 à Versailles, afin de renforcer les liens des CNO européens sur la scène internationale. Après Pierre de Coubertin, c’est encore un Français, le Comte Jean de Beaumont, qui fut un acteur clef de l’Olympisme, en assurant la première Présidence des ACNOE. En 1995, l’ACNOE devient Comités Olympiques Européens réunissant 50 CNO européens depuis l’intégration du Kosovo en 2014. Au-delà d’incarner la France et sa capacité d’impulsion au niveau européen, je me fais le relais des contributions et sujets d’actualité, des dossiers qui constituent le socle de notre engagement et des sujets en lien avec la francophonie.
Les COE ont cette particularité que notre continent s’est uni depuis plus d’un demi-siècle autour d’une structure politique unique, l’Union européenne.
Comme aucun autre continent au monde, nous partageons nombre d’opportunités et de défis communs, faisant des COE un acteur incontournable de la gouvernance du Mouvement olympique européen. Promouvoir le Modèle sportif européen et à travers lui les valeurs de l’olympisme, assurer le développement des activités sportives, renforcer la visibilité des athlètes européens et du dynamisme des CNO européens avec la création de nouvelles formes d’implication à l’échelle continentale, là sont les missions principales des COE.
Dans quelles circonstances sont nés les Jeux Européens organisés par les COE ?
En 1932 se dessinaient déjà les premiers Jeux Panaméricains de 1951, et la même année à l’autre bout du monde était créés les Jeux Asiatiques. Puis, en 1965, c’est au tour du continent africain de créer les Jeux Africains. Sans doute car nous sommes le berceau de l’Olympisme, l’Europe a tardé à créer ses propres Jeux continentaux. L’Assemblée générale des COE en 2012 vote la création des Jeux Européens. Le rêve est devenu réalité trois ans plus tard en 2015, avec les Jeux de Bakou en Azerbaïdjan. Et quelle réussite ! La 2 ème édition s’est tenue à Minsk en 2019 (Biélorussie) et la 3ème sera organisée à Cracovie (Pologne) en 2023.
La France et donc l’Europe accueilleront les Jeux Olympiques de la prochaine Olympiade. Quelle y sera la place pour les COE en tant qu’organisation continentale ?
En qualité de Membre Exécutif des COE et de représentant de la France, j’ai proposé à l’occasion de la 49ème Assemblée générale des COE en novembre dernier, de mettre en place la toute première « Maison de l’Europe » pour les COE et ses 50 CNO membres. La flamme d’Olympie véhicule l’âme de l’Olympisme et est censé illuminer les femmes et les hommes afin de leur procurer la Sagesse et la Paix. Les Jeux représentent l’apogée de l’Olympiade et un moment unique pour les CNO européens et du monde entier, de se retrouver et d’échanger en toute convivialité. C’est peu dire que d’affirmer que nous aurons besoin de ces moments de partage !
Bravo pour cette belle proposition !
Cette « Maison de l’Europe » sera l’opportunité pour les COE de mettre en exergue les particularités des CNO européens, notre Modèle sportif européen et les travaux engagés dans les différentes Commissions. Promouvoir l’engagement des COE en faveur d’une meilleure représentation des femmes dans la gouvernance du sport en est un exemple (une nouvelle mesure impose désormais un minimum de 30% de femmes au Comité Exécutif des COE). Il nous faut poursuivre les travaux. Je donne donc rendez-vous à tous nos amis des CNO européens en 2024 à Paris !
Lors d’un séminaire à Bruxelles le 17 Décembre 2019, vous avez évoqué la spécificité du sport en Europe en présence du Président du CIO Thomas Bach. Qu’est-ce que la spécificité du sport ?
La spécificité sportive est la reconnaissance par l’Union européenne (inscrit au Traité de Lisbonne) de la dimension sociale et sociétale du Sport à travers le Mouvement sportif fédéral. En particulier, c’est un concept juridique qui permet de limiter l’application des lois du marché au secteur sportif afin de préserver le Modèle Sportif Européen que le Président du CIO, Thomas Bach décrit ainsi : « Notre modèle sportif européen repose sur la solidarité, sur l’inclusion et sur des millions de bénévoles […] Les Comités Olympiques Européens sont les partenaires naturels au niveau de l’UE. ». La spécificité du sport a été reconnue par l’ensemble des institutions européennes (Parlement européen, Conseil européen, Conseil, Commission européenne, Comité des Régions ou bien encore la Cour de Justice). Différents textes ont proclamé la volonté de préserver et de protéger cette spécificité.
Pourquoi ?
C’est grâce à cette organisation pyramidale associative fondée sur le volontariat et la solidarité que le sport joue notamment un rôle fondamental de cohésion sociale. La compétition mondiale est une réalité. Mais le sport amateur ne saurait être assimilé à une simple activité économique. Les clubs sur lesquels repose toute l’activité sportive fédérée ne sont pas des entreprises au sens commercial de la recherche de profits pour des actionnaires, mais avant tout des associations où l’humain et l’intérêt général sont au cœur du projet sociétal.
Il y a pourtant de l’économie dans le sport ?
Une approche réduite uniquement aux marchés financiers, nous placerait dans un choix de société où seule l’économie serait à privilégier. Le sport a un coût mais n’a pas de prix. Un juste équilibre est à préserver. C’est l’objet de mon combat aux côtés du CIO, des COE et de chaque CNO européen pour renforcer la protection du Modèle Sportif Européen.
Vous êtes en charge du renforcement du Modèle Sportif Européen et avez présenté l’avancée de vos travaux à l’occasion de la dernière Assemblée générale des COE en novembre dernier. Que pensez-vous de la position récente de l’UEFA et de la FIFA de s’opposer au projet de « Super ligue » européenne ?
Si la question de la préservation du Modèle Sportif Européen va bien au-delà de la seule question des ligues fermées et de cette « Super ligue » à l’échelle continentale, elle n’en est pas moins essentielle en effet. L’UEFA et la FIFA se sont engagés depuis déjà des années, auprès de l’Union européenne mais aussi du Conseil de l’Europe, par différents protocoles d’accord, à préserver le Modèle Sportif Européen. Elles sont donc en phase avec la ligne du Mouvement olympique dans son ensemble depuis toujours, celle de la promotion des valeurs olympiques et des spécificités du sport sur notre continent.
Vos collègues européens partagent-ils la même approche ?
Permettez-moi dans ce cadre de citer le Vice-Président de la Commission européenne en charge du mode de vie européenne, Margaritis Schinas, qui déclarait récemment que « le mode de vie européen n’est pas compatible avec un football européen réservé à une élite riche et puissante ». Un tel soutien sans condition au plus haut niveau des institutions européennes est inédit et il faut en souligner l’importance. Il nous faut tenir bon, l’Union européenne est avec nous et nous défendrons nos convictions avec force et vigueur, aux côtés de nos amis de l’UEFA, de la FIFA mais aussi des CNO européens, des COE et du CIO et tout particulièrement son Président Thomas Bach pour qui ce point est une priorité absolue.
Il y a quelques années, en préparant ma thèse sur le sport et l’Europe, j’avais découvert le rapport d’Helsinki sur le sport de l’Union européenne qui avait marqué les esprits…
Effectivement, le rapport d’Helsinki (1999) est clair et insiste sur le respect d’un socle commun de principes sportifs, comme celui du système de promotion-relégation qui constitue « une marque d’identification du sport européen. Ce système offre plus de chance aux clubs petits ou moyens et valorise le mérite sportif ». Ce sont nos valeurs.
A cette présentation humaniste du sport, l’Europe se donne-t-elle les moyens de lutter contre certaines dérives, par exemple, le dopage ?
Le dopage est la grande menace qui fragilise les fondements du sport et également son éthique. Fléau mondial, force est de constater que depuis des années, les conventions ont été nombreuses, comme les chartes, les règlements…élaborés pour que les contrôles soient les plus performants possible. L’Agence Mondiale Antidopage a été créée en 1999 et c’est certain que l’Europe a participé activement à la lutte contre le dopage. Tout d’ abord, le Congrès d’Uriage en 1963 a apporté une définition du dopage puis le Conseil de l’Europe a été la première instance européenne à adopter dès 1967 une résolution sur le dopage des athlètes entérinée par les Délégués des ministres. En 1989 une Convention contre le dopage a été élaborée par le Conseil de l’Europe. Son but : « la réduction et à terme, l’élimination du dopage dans le sport ». Plus récemment, l’Agence mondiale antidopage (AMA) a adopté une nouvelle version en 2019, du code mondial antidopage, qui entre en vigueur au 1er janvier 2021 pourl’ensemble des signataires. Le CNOSF travaille avec l’AFLD (Agence Française de lutte contre le dopage), les Fédérations, le Ministère des Sports et les parlementaires afin de transposer dans les meilleurs délais ces nouvelles dispositions au bénéfice du Sport et de la préservation de ses valeurs communes.
Sur le dopage, les prises de position sont fréquentes.
Le dopage est incontestablement un sujet qui a énormément mobilisé au point que l’Union européenne est apparue en pointe au niveau mondial à travers notamment l’action du Parlement européen, du Conseil européen… Précisons que le Conseil européen de Vienne, réunion des Chefs d’Etat et de Gouvernement, du 11 et 12 Décembre 1998 a manifesté, à la suite de l’affaire Festina, sa préoccupation face à son ampleur et sa gravité. C’est une déclaration forte. L’Agence Mondiale antidopage a été soutenue par les États membres de l’Union européenne et pour qu’elle conserve son indépendance vis-à-vis du Comité international olympique.
Le dopage n’est pas le seul fléau qui affecte l’image du sport, les matchs truqués donnant lieu à des paris sportifs illégaux également. Des mesures ont-elles été prises ?
La mondialisation peut constituer un obstacle mais le Conseil de l’Europe a élaboré le 18 septembre 2014 une Convention sur les manipulations des compétitions sportives. Elle vise à prévenir, détecter et sanctionner les manipulations de compétitions sportives ainsi qu’à promouvoir la coopération nationale et internationale entre l’ensemble des acteurs concernés que sont principalement les autorités publiques, les organisations sportives et les enjeux de paris sportifs. La France a mis en place une plateforme nationale de lutte contre la manipulation de la compétition sportive, et est un acteur majeur du Groupe de Copenhague, regroupant l’ensemble des plateformes nationales. Une coopération efficace entre les Etats permet de limiter les risques de manipulation des compétitions sportives. A l’instar du groupe de Copenhague, différents Etats européens, dont la France, participent aux projet KCOOS+ (« Keep Crime out of sport ») porté par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Ce projet permet d’accompagner le déploiement de mesures de lutte contre la manipulation dans le sport.
Et l’Union européenne ?
Elle a réagi en publiant en 2011 un Livre vert sur les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur de la Commission européenne, une résolution du Parlement européen. Puis une recommandation le 14 juillet 2014 pour « la protection des consommateurs et des joueurs dans le cadre des services de jeux d’argent et de hasard en ligne et pour la prévention chez les mineurs ». La recommandation concerne la protection du joueur, l’interdiction de jouer pour les mineurs, l’ouverture réglementée d’un compte de joueur, la prévention de troubles liés aux jeux chez les joueurs, la possibilité pour les joueurs d’avoir accès à des lignes d’assistance téléphonique pouvant aller jusqu’à l’interdiction de jeux… La Commission européenne a quant à elle, proposé en avril 2018, une Directive européenne sur les lanceurs d’alertes, Le CIO est très sensible à ces problématiques depuis une dizaine d’années et a même proposé un dispositif de recueil des alertes confidentiel et anonyme. De concert avec le CIO, ce sont les COE qui participent activement à la formation à cet outil notamment via le programme SPOC (« Single point of Contact »). Ce système était déjà en vigueur en France avec le réseau des délégués et référents intégrité.
Jean-Michel BRUN, Secrétaire général du Comité National Olympique et Sportif Français, EOC Executive Member. Mail : JeanMichelBrun@cnosf.org
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