Voilà quarante années que Pape Diouf est dans le football. Journaliste sportif de talent au quotidien La Marseillaise puis à Sport, il devient ensuite agent sportif de Marcel Desailly, Didier Drogba et bien d’autres encore, et il accède enfin à la Présidence de l’Olympique de Marseille de 2004 à 2009.
Lors d’un entretien au journal Le Monde, Pape Diouf avait trouvé anormal d’être le seul Noir à la tête d’un club français. « Je suis une anomalie », avait-il déclaré, non sans humour et fierté.
Il reste un grand nom du football. Déjà en 1989, il avait mené avec mon père Me Serge Pautot et le capitaine des Lions Indomptables du Cameroun Joseph-Antoine Bell un combat contre les discriminations qui frappaient les joueurs naturalisés, les « vrais-faux français » et bien d’autres luttes encore pour les droits des joueurs.
Pape Diouf est aujourd’hui un observateur avisé de l’actualité politique et sportive. Il se dit lui-même supporter de base mais tout ce qui se passe dans le football l’intéresse toujours.
De retour de Dakar où, régulièrement, il retrouve sa famille, nous l’avons rencontré à son domicile de Marseille pour un entretien dans lequel il apporte un éclairage toujours aussi pertinent sur l’actualité du football.
Cher Pape, vous avez été Président de l’Olympique de Marseille. Vous êtes régulièrement sollicité par les médias et récemment, vous avez déclaré à l’émission Téléfoot que « le PSG, c’est un Etat étranger qui joue le Championnat de France ». Que cela signifie-t-il ?
Pape Diouf : De plus en plus de milliardaires investissent dans le football. Nasser Al-Khelaïfi est à la tête du PSG car il est l’ami de l’Emir du Qatar. La fortune investie dans le club provient du Qatar qui cherche à gagner en notoriété dans le monde. Cet investissement donne au Qatar une dimension internationale. C’est une forme de diplomatie baptisée « soft power ». Avec Paris, capitale mondiale, qui brille sur la scène sportive, la réputation du Qatar est grandie. A noter que c’est la première fois dans l’histoire du football qu’un Etat est actionnaire d’un club. En France, le monde du football semble se satisfaire de cette présence. Il n’en serait pas de même si par exemple le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un prenait le contrôle d’un club français.
Et les investissements sont colossaux !
Pape Diouf : Oui mais acheter Neymar 222 M€, ce n’est pas cohérent, cela peut déréguler le football même si bien sûr des investissements sont réalisés régulièrement. Un club bien structuré doit avant tout être un lieu de vie. Malheureusement, la DNCG (Direction Nationale de Contrôle et de gestion) ne peut pas mettre son véto, elle vérifie simplement si le club a les moyens de réaliser ses investissements. C’est aux autorités étatiques de vérifier l’origine et les mouvements des flux financiers.
Parmi les actionnaires, il y a ceux qui ont pour politique de revendre des joueurs, ceux qui semblent investir à perte et enfin, ceux qui investissent pour gagner des titres. Qu’en pensez-vous ?
Pape Diouf : C’est toujours difficile de donner un avis car les intentions des investisseurs sont variées puis les situations évoluent. Prenons le cas de l’OM et de Robert Louis-Dreyfus qui adorait le football. Sa véritable intention avec l’OM était de mettre sa passion du football au service du club. A t’il gagné de l’argent ? Peut-être pas. Il a sans doute gagné en notoriété. A l’annonce de son décès en 2009, la presse titrait : le « patron de l’OM est décédé ». C’était la consécration d’une renommée internationale liée au football. En l’occurrence, il n’a pas été fait référence à son statut d’industriel. A l’inverse, son épouse russe Margarita a cédé le club à l’américain Frank McCourt en 2016 dont on peut véritablement s’interroger sur ses véritables intentions.
Depuis plusieurs années, en France et en Angleterre, des investisseurs étrangers reprennent des clubs de football. Ce sont des « pionniers ». Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Pape Diouf : Tout d’abord, pour la France, le coût d’investissement dans un club de football peut être intéressant et permettre un bon rapport qualité–prix par rapport à d’autres clubs européens. Pour le Qatar, les succès du PSG sont probants et apportent de la renommée. Monaco a été Champion de France en 2017. La revente de certains joueurs a permis de belles plus-values mais l’actuelle saison est compliquée du fait de ces multiples ventes. En Angleterre, les acquéreurs ont fait de gros investissements, comme le russe Roman Abramovitch à Chelsea qui a gagné de nombreux titres dont la Ligue des Champions. Les recettes publicitaires et les droits TV y sont les plus importants en Europe. Notons l’excellente année 2018 de Manchester City (dont l’actionnariat principal provient des Emirats Arabes Unis) qui a remporté le Championnat et la Coupe de la Ligue. Il y a quelques jours, City a étrillé Chelsea 6-0.
Le potentiel économique des clubs anglais est énorme. Il y a quelques années, le magnat à la double nationalité australienne et américaine Rupert Murdoch a échoué dans sa grande offensive de racheter Manchester United en 1999 !
Pape Diouf : Manchester United est un des clubs les plus connus au monde et son modèle économique est réputé. Rupert Murdoch est toujours un géant des médias. Il ne lui a pas été possible de racheter le club en raison de sa situation de propriétaire de la chaîne BSKyB à l’époque. Il est vrai qu’Outre-Manche, les clubs anglais présentent un important rendement économique et toutes les conditions pour y optimiser leurs investissements (merchandising, stades, droits TV…).
Dans le Calcio en Italie, les investisseurs étrangers sont moins nombreux pour racheter les clubs ?
Pape Diouf : Oui, le football italien n’a plus son prestige d’antan. Des grands clubs sont détenus par les « grandes familles ». C’est ainsi que la Juventus Turin a toujours été la propriété de la famille Agnelli (Fiat). De même, l’Inter Milan avec la famille Moratti. Le Milan AC a été présidé par Silvio Berlusconi et lui a appartenu de ce fait. Il n’avait pas besoin d’être racheté par la finance même si en 2016 il vendra le club, soit trente années après sa prise de contrôle. Aujourd’hui, la donne a changé pour les deux clubs de Milan puisque ceux-ci ont été rachetés par des investisseurs étrangers. La Juventus existe encore et Andrea Agnelli en est le Président depuis 2010.
L’Espagne semble échapper à cette volonté de rachats des clubs par des investisseurs étrangers ?
Pape Diouf : Vous évoquiez les clubs anglais mais les clubs espagnols ont remporté les cinq dernières finales de la Ligue des Champions : le FC Barcelone en 2015 et le Réal Madrid à quatre reprises en 2014, 2016, 2017 et 2018, ce qui prouve leur vitalité. Il est vrai que la force du football espagnol réside dans les performances de ces deux clubs. Le Réal et le Barça ont un modèle économique très différent de celui de ceux que l’on voit par ailleurs en Europe, dans lequel les supporters jouent un rôle important. Ces deux clubs sont très riches et ne sont peut-être pas dans le besoin d’un renfort financier extérieur. Néanmoins, une évolution commence en Espagne avec Valence et Malaga qui sont passés sous pavillon étranger.
L’UEFA a réglementé la prise des intérêts étrangers dans les clubs avec en particulier l’interdiction de la multipropriété. A-t-elle eu raison car aujourd’hui des groupes financiers investissent dans plusieurs clubs, sans doute pour limiter les pertes. Qu’en pensez-vous ?
Pape Diouf : J’indiquais tout à l’heure qu’un club devait être avant tout un lieu de vie. Ajoutons qu’il doit être un symbole dont les supporters doivent se sentir propriétaires même si juridiquement ce n’est pas le cas. Ce sont eux qui font vivre le club par leur fidélité, leur soutien, leur affection…L’UEFA a parfaitement raison d’interdire la multipropriété des clubs qui ne correspond pas à l’esprit du football et qui peut amener à des manigances. Même si c’est différent, les allemands, à leur façon, toujours prévoyants, ont adopté une règle qui empêche un investisseur unique de posséder la majorité des parts d’un club. C’est là encore un autre débat. Les allemands montrent par-là l’enracinement national de leurs clubs et ne s’en plaignent pas mais cette règle est débattue depuis plusieurs mois.
Cet entretien a été publié dans le LEGISPORT n°136 de Mars-Avril 2019.
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