VOICI LA TRIBUNE DE MADAME MONIQUE BELTRAME, PRESIDENTE DU COMITE EUROPEEN :
« La Grande Bretagne est un grand pays sur une petite île amarrée au Nord-Ouest de l’Europe à quelques encablures de la Bretagne. Son histoire est grandiose. Véritable conquérante des terres lointaines, elle a l’intrépidité des corsaires alliée à la noblesse des preux chevaliers. On n’oubliera jamais le courage et le sacrifice de sa population impassible face au sacrifice – seule puissance européenne restée debout face à Hitler. La fière Albion a bénéficié de la reconnaissance et de l’admiration des continentaux pour son rôle essentiel dans la victoire sur la barbarie. Ce passé glorieux explique le statut privilégié au sein d’une communauté européenne un peu trop encline à lui accorder des avantages.
De Gaulle en homme politique clairvoyant avait compris l’irrésistible appel du large des Anglais, leur attachement au Commonwealth, leur fidélité aux États-Unis d’Amérique. De là découlait leur incompatibilité avec le projet européen. Il avait dit Non à leur adhésion. Sous la présidence de Georges Pompidou, le 1ER ministre conservateur britannique, Edouard Heath, fervent européen, assure l’entrée de la Grande Bretagne dans le Marché commun, le 1er janvier 1973. Mais la Dame de fer, Margaret Tatcher ne comprend pas le gain économique et politique d’une unité partagée. Elle se comporte en comptable méticuleuse et fait jouer les chiffres. C’est le célèbre « I want my money back ». Elle veille à donner une place toujours plus influente à son pays. Les fonctionnaires britanniques européens, les lobbies prennent lentement possession des commandes à Bruxelles. Il s’agit de faire glisser l’UE vers un grand marché libéral loin du projet des Pères fondateurs. Il est de bon ton de dénigrer la construction européenne. C’est l’heure de gloire de la presse people.
La Grande Bretagne cherche à s’affranchir petit à petit des règles qui gèrent l’UE. Le traité de Lisbonne (2009) intronise les exceptions voulues par la GB. Fi du drapeau étoilé, fi de l’hymne européen, effacée la devise européenne pour satisfaire nos amis Anglais. La Charte des Droits fondamentaux n’est pas incluse dans le Traité, on lui confère une valeur juridiquement contraignante sauf pour la Pologne et la Grande Bretagne. Rebaptisé le Ministre des affaires étrangères en haut Représentant pour empêcher le caractère supranationale de cette institution qui pourrait porter ombrage au Foreign Office. Le vote à l’unanimité touche en conséquence aussi la Défense. La paralysie de l’Europe-puissance est confirmée.
Non satisfait de ces avantages David Cameron, premier Ministre conservateur britannique, organise un Référendum, croyant asseoir son autorité dans son propre camp des Tories. Exploitant la crainte des Européens face aux risques de cette partie de poker à haut risque, il extorque du Conseil Européen, présidé par Donald Tusk trois concessions inouïes. Il s’agit tout bonnement de rendre caduque la clause essentielle des traités de Rome visant à « établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». C’était pour la Grande Bretagne le dernier obstacle à la transformation définitive de l’UE en une vaste zone de libre-échange. La deuxième concession se traduit par le refus de la GB d’accorder les droits sociaux aux travailleurs de l’UE. La troisième exigence est la plus arrogante : le droit de regard de la perfide Albion sur la politique de l’€uro alors que le Royaume-Uni ne l’a pas adopté comme monnaie ! David Cameron a cru gagner la partie contre l’UE en remettant en cause les fondements de l’Europe, c’est l’unité du Royaume uni qu’il a ébranlée. En fait, bien considéré le Brexit a sauvé l’UE d’une situation insoutenable si ces nouvelles conditions offertes aux Anglais avaient été mises en pratique.
Face aux problèmes insolubles qui ont surgi au moment du Brexit et que personne n’avait anticipés, Theresa May, qui n’avait même pas appelé à voter pour le Brexit, a été propulsée à la tête d’un État déboussolé. Au nom de la démocratie, elle s’est engagée à mener à bien le Brexit voulu par le peuple. Elle croit délivrer la Grand Bretagne du carcan de la législation européenne, mise en application par le gouvernement depuis 50 ans, pour rendre au Royaume Uni sa liberté d’action vers un avenir ambitieux. Donald Trump ramènera la locataire du 10 Downing Street brutalement à la réalité des nouveaux rapports de force qui mènent le monde. Le Commonwealth avec lequel les liens civilisationnels sont restés étroits, lui réserve un accueil poli mais distant. Aucun pays ne trouve d’intérêt à signer un accord avec un petit pays. C’est la puissance économique de l’UE qui attire. L’imbrication économique européenne apparaît au grand jour que ce soit pour les petites entreprises qui reçoivent du matériel du continent ou les grandes firmes qui exportent vers l’Europe, pour les laboratoires de recherche dont les cerveaux viennent de tous les horizons européens, que ce soit dans le domaine alimentaire ou l’approvisionnement pharmaceutique et même dans l’alimentation en énergie électrique… Une situation inextricable rend une solution satisfaisante impossible.
Trois grandes difficultés, non anticipées par les Brexiters, exigent des réponses. Deux d’entre elles ont trouvé un arrangement. Concernant la partie financière due à l’UE, le Royaume Uni s’engage à l’honorer ; quant au statut des expatriés européens que les Anglais veulent assimiler aux étrangers, il trouve une réponse dans un principe de réciprocité. Mais la frontière irlandaise est le point d’achoppement insoluble. Ou bien on ferme la frontière, au risque d’une résurgence de la guerre civile entre l’Ulster et la République d’Irlande, ou bien on ne ferme pas la frontière ; le RU alors dont le but est de se dégager de toute contrainte européenne, profite d’un passage clandestin. L’Irlande du Nord célèbre cette année les vingt ans des accords de paix du Vendredi Saint qui ont mis fin au conflit en 1998 sous la garantie de l’UE. La sortie de la Grande Bretagne n’est pas un EXIT mais un déchirement préjudiciable aux conséquences incalculables pour les 2 rives de la Manche. Dans cet imbroglio on peut imaginer deux hypothèses plausibles. Si le gouvernement de Theresa May venait à révoquer avant le 29 mars 2019, sa décision de se retirer de l’Union européenne comme l’article 50 du Traité de Lisbonne l’y autorise, le Royaume-Uni resterait dans l’Union dans des termes inchangés quant à son statut d’État membre (comme le précise le communiqué de presse de la Cour de justice de l’Union européenne n° 191/18 du 10 décembre 2018). La perspective d’un retour de la Grande Bretagne avec les avantages prohibitifs dont elle jouit indûment, sera fatal au projet européen.
Si, en revanche le retrait du Royaume du 29 mars était respecté, la transition pourrait se faire dans le calme. En fait le fameux Deal qui risque d’être rejeté pour la troisième fois, est très flexible et permet une adaptation progressive au cas par cas, y compris pour le problème irlandais. En se libérant petit à petit de leurs rêves du passé, nos amis Britanniques accepteraient enfin leur destin européen pour réintégrer un jour l’Union dans des conditions normales.
« Il n’y a de communauté qu’entre des peuples qui s’y engagent sans limite de temps et sans esprit de retour. » Jean Monnet – Mémoires »