Dans le numéro 131 (mai-juin 2018), LEGISPORT s’est intéressé à : « Sport : signez le bon contrat ! ». Un numéro qui fera date.
Monsieur Patrick Vajda, Consultant Senior chez Marsh (Sport and event practice), aborde la thématique du management des risques sportifs. Il répond aux questions de LEGISPORT.
1/ Monsieur Patrick Vajda, bonjour. Vous êtes un professionnel reconnu de l’assurance des évènements sportifs et également bien connu des milieux sportifs. Merci de vous présenter.
Réponse : Je suis ce que l’on peut appeler un « juriste défroqué »… Je suis né en 1947 et j’ai commencé la pratique sportive à l’âge de 8 ans, et depuis je n’ai jamais quitté le monde du sport. Escrimeur, arbitre international d’escrime, je suis aujourd’hui le Président de l’AFCAM (Association Française du Corps Arbitral Multisports) qui réunit les 246 000 arbitres et juges sportifs Français. Mais je suis depuis plus de 40 ans un spécialiste du risque sportif sur lequel toute ma carrière professionnelle est fondée. J’ai ainsi conseillé dans le domaine du risque et des assurances, 14 jeux Olympiques, 3 Coupe du Monde FIFA, 7 Universiades et plus de 300 événements sportifs internationaux.
Je suis aujourd’hui consultant auprès du premier groupe de courtage d’assurance mondial, spécialiste du management des risques, le goupe Marsh.
2/ Voulez-vous expliquer ce qu’est l’assurance des évènements sportifs ?
Réponse : On ne parle pas d’assurance des événements sportifs, mais on parle de management des risques ! Pourquoi ? L’assurance est un instrument financier qui permet le versement d’une indemnité en cas de sinistre en contrepartie d’une prime, or en évènementielle ce que nous souhaitons c’est mettre en place tous les moyens possibles pour éviter les sinistres ou les réclamations.
L’organisateur souhaite aller au bout de son événement et non être obligé de l’annuler, ou de l’arrêter en cours de route. En un mot son objectif c’est 0 risque ! Une politique efficace de management des risques est donc fondamentale, elle a pour objet de regarder les risques en face et de trouver des solutions pour éviter qu’ils ne surviennent, les amenuiser ou les rendre inoffensifs. Ainsi non seulement on les évite, mais on fait aussi baisser le montant des primes d’assurance, car on peut démontrer aux assureurs que l’on a pris toutes les précautions utiles pour éviter les problèmes !
3/ Une fois cette analyse terminée, que faîtes-vous ?
Réponse : On mettra en place des couvertures traditionnelles avec comme base la responsabilité civile, qui reste un élément fondamental du programme d’assurance. Une garantie individuelle accident pour les participants incluant une couverture assistance/rapatriement et des frais médicaux sur place pour les participants étrangers au pays organisateur, et quand on parle de participants on pense aux athlètes, bien sûr, mais surtout ne pas oublier les volontaires qui travaillent pour l’amour du sport, et qui sont fondamentaux dans une organisation. Sans eux pas d’événement, alors les protéger en les assurant semble être un minimum ! Mais au-delà de l’assurance on mettra également en place des mesures de protection/prévention afin de minimiser la survenance d’incident, d’accident ou de sinistre (assurés ou non).
4/ Et la couverture des risques financiers, cette garantie n’est-elle pas plus connue sous le nom de garantie annulation ?
Réponse : C’est une garantie délicate et onéreuse. Elle varie selon la taille de l’événement mais il est parfois difficile de trouver de la « capacité » (limite assurée) disponible car celle-ci est limitée et parfois les acheteurs nombreux ! Cette raréfaction de la capacité permet aux assureurs d’être très durs sur la négociation de certaines clauses car de toute manière ils vendront leurs capacités disponibles.
5/ Mais il y a des clauses dites complexes ?
Réponse : Oui, les clauses les plus complexes, sont
-la clause terrorisme, avec des limitations de garantie dans le temps et dans l’espace (par exemple l’attentat s’il annule l’événement ou l’interrompt, pour être couvert, doit se dérouler sur le stade ou dans un rayon de 30km autour du stade et dans un délai inférieur à 30 jours)
-la clause menace de terrorisme; avec ou sans retrait des autorisations administratives ; la lettre de menace reçue par la mairie qui fait que celle-ci décide d’annuler l’événement
-la clause maladie contagieuses qui est une exclusion rachetable dans certaines conditions seulement.
6/ Quelles sont les composantes des risques à courir ? On parle sur ce sujet d’évènements « indoor » et « outdoor ». Que signifie cet anglicisme utilisé par les professionnels ?
Réponse : Les événements « indoor » présentent moins de risques que les événements « outdoor » car généralement le risque climatique est proche de zéro dans un événement survenant sur un site couvert et fermé ; à l’inverse le « outdoor », c’est un match de football ou Roland Garros et le risque d’annulation pour raisons climatiques est de toute évidence plus élevé.
A proprement parler il n’y a pas de « composantes des risques à couvrir » car les spécialistes utilisent tous la notion de « tous risques sauf » : tous les risques sont couverts sauf ceux qui sont nominativement exclus. C’est ainsi plus facile pour l’assuré, non professionnel de l’assurance, de comprendre ce qui n’est pas couvert en lisant la liste des exclusions. Aujourd’hui les contrats qui ne sont pas « tous risques sauf » ne sont plus adapté aux risques événementiels.
7/ Quand un sinistre survient, comment est – il géré car nous supposons que le souhait de l’assuré est avant tout d’être indemnisé.
Réponse : Il est géré par une collaboration étroite entre l’assuré et son courtier d’une part et l’assureur d’autre part. S’agissant d’une « tous risques sauf » l’analyse de la garantie est simple et rapide ; on sait donc assez vite si la couverture est acquise. Par contre le montant du préjudice financier doit être démontré par l’assuré. Et c’est parfois délicat. C’est la raison pour laquelle nous invitons nos assurés à être très précis dans la gestion de leur comptabilité et de leurs factures afin, en cas de sinistre, d’être capables de démontrer rapidement à l’assureur le montant et la véracité du préjudice financier subi. Si cette phase-là est rapide, le règlement du sinistre sera rapide !
8/ Avez – vous des exemples récents de sinistres réglés par votre société ou d’autres assureurs. Nous pensons qu’à l’heure du numérique, rien ne reste confidentiel !
Réponse : J’ai eu une chance inouïe dans ma longue carrière : un seul gros sinistre ! Celui de la Ryder Cup 2001, celle-ci fut annulée et reportée d’un an à cause des attentats du 11 septembre : aucun golfeur Américain ne fut capable d’atteindre l’Europe, la plupart des aéroports étant fermée ! Malgré le report d’un an il y eut une fort importante perte financière pour l’organisateur (je ne vous en donnerai pas le montant car la déontologie m’en empêche), il fut réglé en 5 semaines !
9/ Justement à ce propos, les assureurs s’intéressent aux « cyber » risques. On parle aussi beaucoup de « hackers ». Que signifie tout cela ?
Réponse : Il s’agit ici d’un risque qui touche tout le monde : qui ne s’est pas fait piraté son profil sur Facebook ? Mais quand le pirate informatique (Hacker) entre dans la mémoire d’une banque vous imaginez les dégâts. Un hacker est récemment entré dans le système d’un hôpital aux Etats Unis….il a tout simplement bloqué le système électrique, or tout est électrique dans un hôpital, et la vie des patients en dépend ! Le hacker a promis que moyennant 40 000 USD le courant serait immédiatement rétabli. Il fut rétabli, et l’hôpital a payé ! Et bien beaucoup d’organisations sportives sont en possession, sans le savoir parfois, d’informations sensibles mais sont rarement protégées. En particulier le piratage informatique causant un dommage à des tiers est exclu des contrats RC. Il faut donc une couverture particulière intitulée « Responsabilité civile cyber ». Elle couvre, bien entendu, le risque aux tiers, mais pas seulement, car elle donne aussi énormément de conseils tant avant le sinistre qu’après, et dans ce dernier cas l’aide des spécialistes de l’assureur et du courtier est fondamentale pour permettre à l’assuré de s’en sortir sans trop de mal.
10/ Concernant la force majeure, elle est définie comme l’évènement imprévisible, insurmontable, irrésistible. Est-ce que votre assurance sur les risques prévoit l’indemnisation en cas de force majeure et point important, qui détermine s’il y a ou non force majeure ?
Réponse : C’est simple : cela est rare en matière d’assurance ! La force majeure est couverte dans les contrats annulation, on peut même dire qu’historiquement ce fut le point de départ de la couverture annulation. Aujourd’hui elle est couverte tout simplement parce qu’elle n’est pas exclue des contrats « tous risques sauf »… ce qui fait que nous n’en donnons aucune définition et qu’au moment de l’annulation de l’événement nous regardons juste, avec l’assureur, s’il est envisageable de faire autrement qu’annuler, et cela sans danger pour les participants. S’il apparait possible de poursuivre l’événement l’assureur sera prêt à payer les frais supplémentaires évitant l’annulation dans la mesure où ces frais sont inférieurs au montant assuré. Déterminer s’il y a force majeure ou pas n’est donc pas un sujet.
Cet entretien a été publié dans le LEGISPORT n°131.
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