Le numéro 135 de LEGISPORT de janvier-Février 2019 est consacré au thème « Handicap et pratique sportive : pour l’égalité des droits et des chances ».
Nous avons rencontré Joël Gaillard, auteur de l’ouvrage « Pratiques sportives et handicaps – ensemble sportons-nous bien » (Editeur Chronique Sociale). Professeur à la faculté des sciences du sport de l’université de Lorraine et conférencier invité à l’Université CENDA Bogota (Colombie), l’Universitad de Concepción (Chili), Durango (Mexique) et Islamabad (Pakistan), il évoque l’évolution de la législation concernant les personnes handicapées.
Question : Bonjour Monsieur le Professeur. Vous travaillez et enseignez depuis longtemps sur les pratiques sportives et le handicap. Pour favoriser ces pratiques, l’Etat au fil des années a pris un certain nombre de mesures législatives et réglementaires pour sortir la personne handicapée de l’isolement dans lequel elle pouvait se trouver et aider le mouvement sportif à développer et organiser la pratique sportive en faveur de ces personnes. Merci de nous décrire cette évolution.
Réponse : Il faut faire une distinction entre les lois de portée générale, comme les dispositions du Code du Sport, et les lois relatives à des questions spécifiques comme celles en faveur des personnes handicapées.
Il y a eu tout d’abord la loi du 14 Juillet 1905 sur l’assistance aux vieillards, aux infirmes et incurables privés de ressources puis avec la Première Guerre 1914-1918, le sport a été un moyen de rééducation des blessés. Une méthode pour remettre en condition physique, en cohérence avec l’importance de l’invalidité. Des progressions de travail et d’exercices physiques seront établies avec tous les blessés de la Grande Guerre.
Après la 2ème Guerre Mondiale, un modèle d’assistance sera mis en place avec le premier grand dispositif de la loi d’orientation du 30 Juin 1975 en faveur des personnes handicapées. Puis après une période de publication d’un certain nombre de décrets, règlements, une nouvelle loi va être votée le 11 Février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ce fut une grande avancée. Parallèlement, des dispositions en faveur des personnes handicapées vont figurer dans la loi sur le sport du 16 Juillet 1984 et aujourd’hui codifiées dans le Code du Sport à divers articles, L.100-1 du Code du Sport, L.100-3 et L.111-1, L.121-3 du même Code, ainsi que d’autres dispositions sur le brevet d’Etat pour les personnes handicapées candidats.
De même, l’article L.211-7 sur les programmes de formation devant comporter un enseignement sur le sport pour les personnes handicapées, sera repris à l’article L. 363-4 du Code de l’Education.
Question : Revenons à la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 Juin 1975.
Réponse : Cette loi a apporté des mesures d’actions sociales en faveur des personnes handicapées, enfants et adultes – mesures d’assistance avec la garantie d’un minimum de ressources, ainsi qu’un certain nombre de droits spécifiques : droit aux soins – droit à l’éducation – droit à la formation et à l’orientation professionnelle – droit à l’emploi – droit à l’intégration sociale – droit à l’accès aux sports et aux loisirs. Il s’agissait sur ce point de rendre à la personne handicapée la liberté de se comporter comme un membre à part entière de la communauté nationale : possibilité de se déplacer ce qui impliquait déjà des mesures spécifiques visant les bâtiments publics, les installations ouvertes au public, donc bien évidemment les installations sportives.
Il a donc fallu attendre cette loi pour que la prise en compte de l’ensemble des activités sociales de la personne handicapée apparaisse légitime pour que l’on adopte des éléments réglementaires dans le domaine des activités physiques et sportives en France.
Question : Certains ont jugé l’approche de cette loi trop restrictive parce que mettant l’accent sur la personne handicapée elle-même au lieu de considérer comme primordiale la « situation de handicap » ?
Réponse : Oui, la compensation du handicap serait un vain mot, dès lors qu’aucun contenu concret ne serait donné à ce principe de solidarité nationale, rappelaient en 2003, en préambule de leur proposition de loi rénovant la politique de compensation du handicap, les sénateurs About et Blanc*. Cependant, la période de 1981 à 2002 a semble-t-il été marquée d’un certain « désintérêt » de la question des pratiques sportives à destination des personnes en situation de handicap. Et pour preuve, Michel Pelchat, alors député de l’Essonne avait posé une question au gouvernement le 4 Juillet 1988 à propos des politiques sportives et du handicap, à laquelle le secrétariat d’Etat à la jeunesse et aux sports répliquait que « le gouvernement attache une importance toute particulière au développement de la pratique sportive pour tous et notamment pour les personnes handicapées pour lesquelles le sport constitue un moyen privilégié d’intégration sociale. A cet effet, et en concertation avec les autres départements ministériels intéressés, l’élaboration de la politique du secrétariat d’Etat à la jeunesse et aux sports est de favoriser : l’organisation de manifestations mixtes ouvertes à la fois aux valides et aux handicapes mais aussi le développement de manifestations spécifiques ; l’ouverture des associations sportives aux handicapes soit dans des sections particulières affiliées aux fédérations spécifiques, soit, par intégration, lorsque le handicap le permet, dans des sections sportives ordinaires ; la formation de personnels d’encadrement des APS des personnes handicapées ; l’aménagement des équipements sportifs pour en faciliter l’accès aux personnes handicapées ».
Question : Malgré cette réponse vigoureuse, le sort des athlètes handisport n’était pas véritablement pris en compte par les autorités du sport ?
Réponse : Tout à fait et il a fallu que la Commission nationale du sport de haut niveau décide lors de sa réunion du 13 Janvier 1989, « d’attribuer une aide personnalisée exceptionnelle aux sportifs ayant obtenu une médaille aux jeux Olympiques de Seoul et de Calgary. Cette mesure concernait uniquement les épreuves olympiques, à l’exclusion des sports de démonstration et des jeux para-olympiques handisports ». En effet, un sportif valide se voyait attribuer la somme de 250 000 francs pour une médaille d’or tandis que les athlètes handisports ne percevaient que 10 000 francs, soit 1/25e. Une telle discrimination est particulièrement mal ressentie par ces sportifs qui doivent surmonter bien des difficultés dans le cadre de leur pratique, notamment pour trouver des structures d’entraînement adaptées. Fort heureusement, les deux Fédérations dédiées au sport handicap étaient très actives.
Question : Ces fédérations (Fédération Française d’Handisport et Fédération Française de Sport Adapté) ont toujours permis le développement de la pratique sportive des personnes handicapées ?
Réponse : Bien sûr, je vous indique que déjà en 1918 la Fédération Française des Sourds de France a été la première fédération sportive omnisports pour personnes handicapées. Aujourd’hui, les deux fédérations que vous citez ont une grande activité d’autant que l’article L.100-1 du Code du Sport édicte : « Les activités physiques et sportives constituent un élément important de l’éducation, de la culture, de l’intégration et de la vie sociale. Elles contribuent notamment à la lutte contre l’échec scolaire et à la réduction des inégalités sociales et culturelles ainsi qu’à la santé. La promotion et le développement des activités physiques pour tous, notamment pour les personnes handicapées, sont d’intérêt général ».
Avec cette obligation de promouvoir et de développer le sport en faveur des personnes handicapées, l’Etat se doit d’aider le mouvement sportif. Et l’article L.121-3 du même Code édicte : « Les associations sportives qui promeuvent et organisent des activités physiques et sportives à l’intention des personnes handicapées peuvent bénéficier, sous réserve de l’agrément mentionné à l’article L.121-4, d’aides des pouvoirs publics, notamment en matière de pratique sportive, d’accès aux équipements sportifs, d’organisation des compétitions, de formation des éducateurs sportifs et d’adaptation des transports. Les associations sportives, notamment scolaires, universitaires et d’entreprise sont ouvertes aux personnes handicapées ». Il y a les structures et les envies, il faut les satisfaire.
De même, après le brevet d’Etat d’éducateur option Handicapé, il existe aujourd’hui le DEJEPS et le DESJEPS option Handisport. On peut donc dire qu’une politique sportive spécifique en direction des personnes handicapées est réelle avec également l’action active du Comité Paralympique et Sportif Français.
Question : Pourtant, ici et là, on relève dans les médias ou hélas dans la rubrique des faits divers, les difficultés que rencontrent les personnes handicapées pour la pratique sportive.
Réponse : Oui, des inquiétudes liées à l’accessibilité des lieux et des équipements apparaissent encore comme étant « autant d’obstacles à l’exercice des activités physiques et sportives » et l’absence de remboursement d’équipements orthopédiques liés à certaines pratiques sportives. Des handicapés, atteints d’une infirmité des pieds, peuvent cependant pratiquer quelques sports, tels que l’escalade ou la plongée. Or, la sécurité sociale ne rembourse pas le prix des chaussures de sport, alors que l’équipement concerne parfois l’achat de deux paires, chaque pied demandant une taille différente. La pratique d’un sport, si utile à la conservation physique et morale de ces personnes, est très onéreuse pour la plupart d’entre eux, dont les revenus sont modestes » interpelle le député Jean Pierre Foucher dans une question au Gouvernement du 17 octobre 1988.
Question : Avec les attentes sociétales, la loi du 11 février 2005 était nécessaire et attendue ?
Réponse : Oui, la loi du 11 février 2005 présente des objectifs forts dans une perspective immédiate et à long terme :
-D’abord, améliorer la prévention des handicaps et de leur aggravation, en structurant davantage la recherche sur ces sujets et en mettant en place des consultations de prévention spécifiques pour les personnes handicapées ;
-Puis mettre en œuvre le droit à compensation, tout particulièrement à travers une nouvelle prestation de compensation du handicap, visant à financer les surcoûts de toute nature liés aux conséquences du handicap, de façon à rétablir pour les personnes concernées une forme d’égalité des chances ;
-Ensuite, garantir à toutes les personnes handicapées des ressources d’existence décentes lorsqu’elles sont dans l’incapacité totale de travailler, en l’occurrence au moins 80 % du Smic ;
-Enfin, permettre l’ « accès de tous à tout », c’est-à-dire d’abord à l’école, avec pour priorité la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire, et à l’emploi, notamment dans la fonction publique, afin d’ouvrir plus largement le monde du travail aux personnes handicapées, mais aussi tout simplement à la cité, grâce à la mise en accessibilité des bâtiments, de la voirie et des transports.
Question : Cette loi a-t-elle satisfait l’attente des personnes handicapées car nous sommes en 2019 ?
Réponse : Composée de 101 articles, la loi de 2005 constitue une réforme très ambitieuse de la politique du handicap car elle entend couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées, quel que soit leur âge. Cette approche transversale constitue sa force, mais aussi sa faiblesse car elle exige un travail important de pilotage et de mise en application qui, plusieurs années après son adoption n’est pas encore achevé.
Au vu des immenses espoirs qu’elle a suscités auprès des personnes handicapées et leurs familles, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a souhaité savoir dans quelle mesure l’énoncé de droits-créances s’est traduit ou non par la mise en œuvre de droits effectifs.
Que ce soit dans le domaine de la compensation, de l’éducation, de l’emploi ou de l’accessibilité, il apparaît en effet que les réalités de terrain sont parfois très éloignées de l’esprit de la loi. En effet la mise en œuvre d’une loi aussi ambitieuse exigeait naturellement un nombre important de textes d’application : 138 décrets ou autres types de mesures réglementaires étaient attendus. Le rapport Blanc précise en 2007 que 120 modifications ont été prises et que 90 % d’entre elles ont reçu l’avis favorable du Comité National Consultatif des Personnes Handicapées. Il y a encore à faire.
Question : Nous allons terminer cet entretien sur les Jeux Paralympiques qui constituent en soi un aboutissement pour beaucoup.
Réponse : Hélas, pas pour tous. Une baisse constante des résultats aux Jeux Paralympiques d’été fait passer la France du 4ème au 12ème rang des nations entre 1992 et 2016 associé à avec un niveau global d’activités en baisse chez les femmes et les jeunes. Des difficultés à faire progresser le nombre de licenciés apparaissent, de même que la nécessité de valoriser et diversifier les offres (e-sport, sport-santé, sport en entreprise…) en complément de la pratique fédérale. La mise en place des « parlements du sport » et des « conférences des financeurs » par leur proximité avec les sportifs est sans doute un ambitieux projet qui permettra la mise en place des gouvernances spécifiques pour les personnes en situation de handicap et leur expression au sein du sport-santé, sport et éducation, et de l’insertion sociale par le sport. Le renforcement du rôle de la commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFES), par sa portée réglementaire est sans doute une piste à ne pas négliger.
*Sénat, Session ordinaire de 2002-2003 Annexe au procès-verbal de la séance du 13 mai 2003 Proposition de loi Rénovant la politique de compensation du handicap
Cet entretien a été publié dans le numéro 135 de LEGISPORT.
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