Par Benoist MALLET Di BENTO,
Consultant Intelligence Culturelle et stratégie des territoires

Le sport est universel. Il unit, forme, éduque et transmet des valeurs telles que l’esprit sportif, l’effort collectif et la résilience. Pourtant, le paysage de la reconnaissance internationale présente un paradoxe : les récompenses mondiales célèbrent surtout la performance et la célébrité, tandis que celles et ceux qui font vivre le sport au quotidien, souvent dans l’ombre, restent largement invisibles.
Au cœur de cette réflexion se trouvent les véritables héros du sport, souvent inconnus du grand public : l’athlète anonyme qui entraîne bénévolement des enfants dans son quartier, la joueuse qui surmonte un handicap pour encadrer une équipe, le club rural qui organise des tournois pour rassembler sa communauté. Ce sont eux, plus que les vedettes adulées par les médias, qui incarnent l’esprit éthique et éducatif du sport. Sans leur engagement quotidien, la gloire des vedettes n’aurait aucun sens.
Les sports traditionnels : préserver la diversité culturelle
Au‑delà des acteurs individuels, il existe un patrimoine sportif mondial trop souvent méconnu : les dizaines de sports ou jeux traditionnels qui traversent continents et cultures, des jeux de lutte africains aux arts martiaux asiatiques, en passant par les disciplines autochtones d’Amérique ou d’Océanie. Ces pratiques incarnent des valeurs locales, des savoir‑faire ancestraux et un respect de la culture propre à chaque communauté. Leur invisibilité médiatique actuelle menace leur survie face à la standardisation mondiale dominée par les disciplines européennes ou américaines. Reconnaître et diffuser ces sports, c’est affirmer que le sport n’est pas qu’une compétition globale mais aussi un vecteur de diversité culturelle, de solidarité et d’éducation citoyenne.
Un paysage de prix déjà saturé et élitiste
Les prix internationaux comme les Laureus World Sports Awards, le Prix Princesse des Asturies des Sports, les ESPY Awards ou le BBC Sports Personality of the Year incarnent l’idée d’excellence dans le sport. Souvent présentés comme les équivalents du Nobel, ils offrent une visibilité mondiale et récompensent des performances exceptionnelles. Cependant, leur logique repose sur la notoriété et la réussite médiatique : l’athlète vedette, la super étoile, l’équipe titrée.
Même le Prix Pierre de Coubertin ou le Prix du Fair Play, plus symboliques dans leur approche, restent largement liés aux gestes individuels remarquables et non à l’ensemble des initiatives communautaires (bénévoles, éducateurs, entraîneurs, responsables de clubs locaux, mentors ou organisateurs de sports traditionnels) qui font vivre le sport au quotidien. Ainsi, la reconnaissance officielle repose essentiellement sur la performance, laissant en marge l’immense réseau de contributions qui structure le sport mondial.
Le paradoxe éthique : inclusion proclamée vs reconnaissance réelle
Dès sa fondation du Comité International Olympique en 1894, Pierre de Coubertin défendait une vision du sport centrée sur l’éducation, l’effort collectif et la formation du citoyen. Pour lui, le sport devait s’attacher à la culture, créer du lien humain et promouvoir des valeurs universelles. Aujourd’hui, cette dimension éducative et sociale semble trop souvent éclipsée par la médiatisation et la valorisation exclusive de la performance. Rappeler cette ambition fondatrice souligne combien la reconnaissance mondiale devrait inclure non seulement les athlètes vedettes, mais aussi les acteurs invisibles et les sports traditionnels qui incarnent ces principes au quotidien.
Le document « Donner le meilleur de soi‑même » du Vatican (2018) rappelle que « le sport est un lieu de rencontre où les personnes de tout niveau et de toute condition sociale s’unissent pour obtenir un résultat commun ». Il souligne que le sport est un milieu privilégié pour la formation intégrale de la personne, le dépassement de soi, la solidarité et le respect, au‑delà de la simple performance. Ces principes rejoignent pleinement ma proposition : reconnaître et valoriser les acteurs invisibles et les sports traditionnels, qui incarnent ces valeurs dans toutes les communautés.
Le modèle américain du sport, avec ses ligues professionnelles, ses spectacles mondiaux et ses athlètes-adulés, s’est imposé comme référence globale. Son avantage est incontestable : audience massive, parrainage internationale et visibilité mondiale. Son inconvénient est tout aussi clair : il privilégie la notoriété et la performance, reléguant les acteurs communautaires, les sports locaux et traditionnels au second plan. Pour ceux qui cherchent à promouvoir un sport plus engagé, inclusif et éducatif, le défi est double : tirer parti de la puissance de ce modèle sans s’y perdre, ni reproduire ses limites.
Vers une forme originale de reconnaissance : les Rencontres des Invisibles du Sport
Plutôt que de créer un trophée supplémentaire, il est proposé de mettre en place les Rencontres des Invisibles du Sport, un espace collectif pour valoriser les acteurs et pratiques méconnus.
• Mission : mettre en lumière les initiatives locales, éducatives et sociales, et préserver la diversité des pratiques sportives.
• Participants : éducateurs, bénévoles, entraîneurs, sportifs en situation de handicap, responsables de sports traditionnels, organisations communautaires.
• Format : ateliers interactifs, témoignages vivants, projections documentaires et échanges transnationaux.
• Décentralisation continentale : chaque continent accueille ses propres Rencontres, adaptées aux cultures et pratiques locales, tout en assurant une coordination francophone et une synthèse mondiale.
• Dimension environnementale : organisation locale pour réduire l’empreinte carbone, utilisation d’infrastructures durables, sensibilisation à l’éducation environnementale, diffusion numérique priorisée.
Pour amplifier la reconnaissance et la rendre visible, on peut s’inspirer des émissions culinaires télévisuelles à succès, telles que Cauchemar en cuisine. Chaque épisode raconte une histoire, montre les défis du terrain et les efforts pour améliorer une situation, tout en captivant l’attention du spectateur. Transposé au sport, ce format permettrait de mettre en lumière les acteurs invisibles et les sports traditionnels, et d’éduquer le public aux valeurs sociales, éducatives et inclusives.
Alignement avec les ODD de l’ONU
Les Rencontres s’inscrivent pleinement dans les Objectifs de Développement Durable :
• ODD 03 – Bonne santé et bien‑être
• ODD 04 – Éducation de qualité
• ODD 05 – Égalité entre les sexes
• ODD 10 – Réduction des inégalités
• ODD 12 – Consommation et production responsables
• ODD 13 – Action pour le climat
• ODD 16 – Paix, justice et institutions efficaces
Cette approche allie inclusion, diversité culturelle, impact social et respect de l’environnement.
La francophonie comme levier universel.
Inspiré par les valeurs de la francophonie — diversité, inclusion, dialogue et transmission culturelle — le projet ouvre un cadre universel, capable de dialoguer avec les modèles anglo-américains et de leur apporter une dimension pédagogique et culturelle. Les Rencontres complètent le système global, valorisant la diversité des sports et des acteurs, tout en offrant une plateforme universelle de reconnaissance.
Les Jeux de la francophonie et les ODD : un appel à l’engagement pour le sport inclusif
« Les Rencontres des Invisibles du Sport » pourraient, en complément des Jeux de la francophonie, offrir un second souffle éducatif, culturel et environnemental, mettant en lumière les acteurs de terrain et les sports traditionnels. Elles offriraient une visibilité mondiale, décentralisée et respectueuse de l’environnement, tout en incarnant les valeurs fondatrices du mouvement sportif et les Objectifs de Développement Durable.
Il serait précieux que des figures engagées à l’échelle internationale, telles que Son Altesse Sérénissime le Prince Albert II de Monaco, puissent soutenir et accompagner cette initiative, renforçant la visibilité et l’impact des acteurs invisibles du sport dans le monde francophone et au-delà.
Le vrai prix du sport ne se mesure pas en trophées, mais en vies transformées, en cultures préservées et en valeurs partagées.