Maître Michel Pautot (LEGISPORT) et Madame Monica Radu, responsable du Centre d’Information Europe Direct (CIED) à la Maison de l’Europe de Paris et porte-parole des salariés de la Fédération Française des Maisons de l’Europe, à Paris le 29 Janvier 2021
Madame Monica Radu : Bonjour Maître. Tout d’abord, la parution de votre ouvrage « Le sport et l’Europe – les règles du jeu » est une réédition ?
Michel Pautot : Oui, il s’agit de la troisième édition faisant suite à divers évènements, le Brexit, l’accélération de l’axe France – Allemagne, le coronavirus… Il fallait refaire le point sur la construction européenne et ses incidences sur le sport.
Monica Radu : Effectivement, l’actualité est foisonnante avec tout d’abord le Brexit.
Michel Pautot : Grand évènement dont les conséquences ne sont pas encore toutes perceptibles, le Brexit est un tournant dans l’histoire de l’Union européenne. Cela ne sera pas sans difficultés pour le Royaume-Uni avec notamment les questions écossaise et irlandaise. L’Ecosse annonce régulièrement son souhait de faire partie de l’Union européenne.
Pour le football anglais, les joueurs étrangers vont-ils être moins nombreux ?
Des nouvelles mesures ont été votées pour la Premier League, pas de transferts de mineurs, limitation des transferts des joueurs de 18 à 21 ans, et institution d’un permis de travail ou équivalent pour tous les footballeurs étrangers sous certaines conditions. D’autres pratiques vont voir le jour. Pour les clubs qui misaient sur le recrutement massif de jeunes étrangers ou mineurs, ce sera fini. Ce qui devrait en principe donner plus de possibilité aux footballeurs anglais de se révéler mais entraîner une baisse de ressources de certains clubs étrangers « vendeurs ».
Le monde est bouleversé par le coronavirus. L’Europe est forte. Pour quand l’Europe du sport ?
L’Europe du sport est en avance sur celle de la santé, bien que les politiques sportives nationales diffèrent d’un Etat à un autre. On l’a vu aussi dans la gestion du coronavirus. La progression de cette pandémie a montré qu’une Europe de la santé est une nécessité et les décisions de la Commission européenne pour faciliter l’arrivée des vaccins en Europe a été décisive malgré l’attitude de laboratoires sur les livraisons.
Le sport subit de plein les effets du coronavirus, compétitions annulées, reportées….
Oui. Sans oublier les pertes financières avec des répercussions qui se mesureront sur plusieurs années. Les championnats se jouent dans des stades vides. Si les Coupes européennes de football se sont déroulées la saison passée en Août, l’Euro a été reporté et si le coronavirus progresse encore, nous sommes dans l’expectative, la compétition sera peut-être aménagée ou reportée, tout comme les Jeux olympiques de Tokyo.
Des aides publiques ont été accordées aux clubs en France. Est – ce légal ?
La Commission européenne a analysé la mesure au regard de l’article 107(2)(b) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui lui permet d’autoriser les aides publiques accordées par les Etats membres afin d’indemniser certains secteurs. Elle vient d’autoriser un régime d’aide français de 120 millions d’euros destiné à indemniser partiellement les clubs sportifs et les organisateurs d’évènements sportifs pour le préjudice lié à la pandémie.
Pourquoi s’être intéressé à l’Europe et au sport ?
Dans ma jeunesse, la construction de l’Europe était omniprésente, la monnaie unique, la chute du mur de Berlin, l’élargissement… J’étais un fervent supporter des championnats, des coupes européennes de football, de basket…et de tous ces joueurs qui circulaient d’un pays à l’autre même si les quotas étaient là. Les coupes européennes sont un très bel exemple de la construction de l’Europe par le sport. Après avoir prêté serment d’avocat en 1997, j’ai soutenu une thèse de doctorat en droit sur le sport et l’Europe à l’Université de Nice en 2000 et en même temps, je prenais la défense de la basketteuse polonaise Lilia Malaja par l’agent François Torres et Patrick Kramer pour contester en justice son interdiction de jeu.
A la suite des évènements de l’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin, notre Présidente Mme Catherine Lalumière, lorsqu’elle était Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, a œuvré pour l’entrée des pays d’Europe de l’Est.
Vous avez raison, l’adhésion des pays d’Europe de l’Est a été rapide au sein du Conseil de l’Europe. Cela a été plus long pour l’Union européenne. Des accords économiques ont été signés par l’Union européenne avec les Etats d’Europe de l’Est, dont les accords d’association, puis des Etats sont devenus membres de l’UE. Ces accords ont eu des conséquences dans le sport, comme le montrera l’affaire Malaja et autres cas.
A vos yeux, l’Europe a joué un grand rôle dans le sport. Cet aspect est méconnu !
Déjà, l’Europe est à l’origine de certaines disciplines sportives modernes et notre continent, c’est certain, a joué un rôle. L’Angleterre est à l’origine de sports populaires comme le football ou le rugby. Sans la révolution industrielle, ces sports n’auraient peut-être pas vu le jour. Des français ont joué un rôle capital comme le baron Pierre de Coubertin qui a rénové les jeux olympiques ou Jules Rimet avec la coupe du monde de football. Pour le handisport, l’allemand Ludwig Guttmann a joué un rôle déterminant.
Le sport est-il un exemple concret de construction européenne ?
Oui, avec les migrations des joueurs, les équipes se sont internationalisées en application du principe de libre circulation des travailleurs communautaires (importance de l’arrêt Bosman de 1995) puis cela s’est amplifié avec les accords européens. Des équipes ont débuté des rencontres sans joueur national, Chelsea, Arsenal, l’Inter, le PSG, l’Eintracht… Si nous prenons l’exemple de la Coupe du Monde de football 2018, les équipes nationales de France, de Croatie et de Belgique ont apporté la preuve qu’elles participent activement à la construction de l’Europe avec leurs joueurs « éparpillés » dans les Championnats européens.
Peu de dirigeants politiques en parlent !
Nous le regrettons. La liberté de circulation est critiquée, alors qu’elle est une richesse, d’autres parlant de « dérégulation » ! La liberté de circulation est un des piliers du Traité de Rome de 1957 et de ses pères fondateurs Jean Monnet et Robert Schuman. Le sport est bien au cœur de l’Europe : les équipes constituées de joueurs expatriés en sont une parfaite illustration ! Et les audiences à la TV sont fortes pour voir le sport européen, d’où la lutte effrénée pour l’obtention des droits de diffusion avec l’explosion des coûts.
Vous êtes un de ceux, à l’origine de cette internationalisation avec la procédure Lilia Malaja. D’ailleurs, le Président Sepp Blatter a qualifié « l’arrêt Malaja » d’ « arrêt Bosman à la puissance 10 » !
Son combat en faveur des droits des sportifs mérite d’être souligné. La basketteuse polonaise Lilia Malaja était interdite de jouer en France au club de Strasbourg car celui-ci avait dépassé le nombre de joueuses non-communautaires autorisées à jouer. Pour simplifier, c’est le prolongement de l’arrêt Bosman pour les joueurs non – communautaires.
Comment l’expliquer ?
Les accords ont été signés par l’Union européenne avec une centaine d’Etats tiers et ils interdisent la discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail. Ces accords, de nature économique, concernent diverses zones géographiques, comme l’Europe de l’Est, le Maghreb, l’Afrique, le Pacifique et les Caraïbes. Si l’on prend le cas du rugby, les joueurs sud-africains, fidjiens sont concernés par l’Accord de Cotonou.
Le sport est devenu « sans frontières » !
Les frontières du sport ont « explosé » avec ces procès pour l’abolition des quotas qui limitaient la présence des joueurs étrangers dans les équipes de clubs. Les textes européens étaient et sont d’une valeur supérieure. Mais il a fallu du temps ! Avant l’arrêt Bosman de 1995, des décisions avaient déjà jugé de l’illégalité des restrictions vis-à-vis des communautaires. Et le sport a une vocation mondiale, comme l’économie, la culture…
Le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, a inscrit un article sur le sport (compétence d’appui).
Nous devons aller plus loin que l’insertion d’un article sur le sport, un poste de Commissaire européen aux sports à part entière doit être créé au sein de la Commission même si certains objecteront que le poste de Ministre des sports n’existe pas dans tous les pays européens.
N’oublions pas le Conseil de l’Europe. Quel rôle a t-il joué un rôle dans le sport ?
Son Traité fondateur est celui de Londres (1949). Il exhorte à la protection des droits de l’homme, du renforcement de la démocratie et la prééminence du droit. Dans le sport, il est à l’origine d’un grand nombre de textes, par exemple, la Charte européenne du sport et le code d’éthique sportive, la Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives, la Convention sur la manipulation de compétitions sportives… Pour le dopage, le Conseil de l’Europe adoptait dès 1967 une résolution sur le doping des athlètes avant de publier plus tard une Convention contre le dopage. Les valeurs du sport ont bien été mises en avant.
Et les équipes « européennes » !
On peut réfléchir à une équipe européenne à l’exemple de la Ryder Cup en golf. En football, rugby, volley-ball, basket-ball ou handball, pourquoi après la finale d’une coupe ou d’un championnat du monde, ne pas organiser un match entre une équipe européenne et une équipe du reste du monde ? Ces idées vont dans le sens d’une identité européenne encore plus forte.
De nombreux symboles peuvent y être reliés ?
L’Euro de football se déroulera dans plusieurs pays européens, c’est un magnifique symbole. Nous lançons l’idée d’un match amical annuel France – Allemagne lors de la journée franco-allemande. Le football a indéniablement un rôle à jouer dans l’amitié francoallemande. L’année 2024 devrait être décrétée « Année européenne du sport » avec la tenue des Jeux de Paris et de l’Euro de football en Allemagne.
Enfin, avez-vous un souhait pour l’Europe ?
Que la « journée de l’Europe » du 9 mai qui est l’anniversaire de la « déclaration Schuman » de 1950 soit déclarée « jour férié ».
Bienvenue à la Maison de l’Europe de Paris
Le 29 Janvier 2021, nous avons été agréablement accueillis à la Maison de l’Europe, située au 29 Avenue de Villiers, dans le 17ème arrondissement de Paris, dans un bien bel hôtel particulier datant du XIXème siècle. Le bâtiment a été construit pour la famille « De Havilland », fabricants de porcelaine de Limoges et a accueilli pendant de longues années le conservatoire de musique Claude Debussy.
Nous avons rencontré Mesdames Ursula Serafin, la directrice et Monica Radu, responsable du Centre d’information Europe Direct. Pour Madame Catherine Lalumière, grande Européenne qui par le passé a été Ministre des affaires européennes, Secrétaire générale du Conseil de l’Europe et vice-présidente du Parlement européen, « la Maison de l’Europe met en débat cette Europe méconnue à laquelle il nous appartient plus que jamais de contribuer activement en tant que citoyens ».
La Maison de l’Europe de Paris a été créée en 1956 par André François-Poncet, le premier Président de 1956 à 1966 et par Madame Marcelle Lazard, secrétaire générale de 1956 à 1979. Succèderont à André François-Poncet : Maurice Schumann (1966-1967), Roger Reynaud (1967-1971), François Seydoux de Clausonne (1971-1978), Michel Junot (1978-2003), Catherine Lalumière (2003-2021) et Michel Derdevet, Président depuis le 3 Février.
Depuis Janvier, la liste de conférences organisées par la Maison de l’Europe de Paris sous la forme digitale est impressionnante :
-« Avenir de l’Europe, quelle place pour les valeurs européennes ? »,
-« Brexit, quelles relations futures ? », -« L’année européenne du rail »,
-« Sport et Europe : quelles règles du jeu ? »,
-« Le système du combat aérien du futur SCAF »,
-« L’Européen Valéry Giscard d’Estaing », -« Largo Winch, aventurier de l’économie »,
-« Le Portugal et les enjeux de sa présidence du Conseil de l’Union »…
Un foisonnement de projets !
La Maison de l’Europe organise annuellement des évènements grand public, notamment la Fête de l’Europe sur le parvis de l’Hôtel de Ville, avec la Mairie de Paris et le soutien de la Commission européenne et du Parlement européen. Elle anime également un Club Erasmus où des étudiants européens se réunissent autour de différentes activités : cinéma, théâtre, musique, visites culturelles, cours de langues… Elle présente la particularité d’accueillir un Centre d’information Europe Direct, ce qui renforce sa proximité avec les citoyens et fait partie de la Fédération Française des Maisons de l’Europe.
Plusieurs projets sont mis en œuvre par la Maison de l’Europe de Paris comme « Happy EU » qui aborde sous un angle européen le sujet du vivre ensemble, des valeurs européennes et de la citoyenneté active avec des rencontres dans plusieurs villes européennes (Ulm en Allemagne, Paris et Vincennes en France, Cuba au Portugal, Caceres en Espagne, Bacau en Roumanie). « Escape Game Fake News » est une réponse d’un appel à projet lancé par la Fondation Bosch. Il a pour but de faire connaître l’Union européenne et d’endiguer la propagation de fausses informations en donnant les clefs pour les reconnaître. D’autres projets sont en partenariat comme « Berlin_Paris@Home in Europe » avec l’Académie européenne de Berlin afin de permettre des rencontres entre jeunes français et allemands, ou encore « Projet Citoyens des macro-régions pour une Europe plus forte », mené par la Maison de l’Europe de Budapest avec dix partenaires européens sur quatre macro-régions (Mer Baltique, Danube, région Adriatique et Ionique). Oui, un beau foisonnement de projets !
Maison de l’Europe de Paris, 29 Avenue de Villiers, 75017 PARIS. Président : Michel Derdevet. Présidente d’honneur : Catherine Lalumière.
-Ursula Serafin, directrice. Mail : u.serafin@pariseurope.eu ; Monica Radu, responsable du Centre d’information Europe Direct. Mail : responsableCIED@paris-europe.eu