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Les contrats bouleversés par la pandémie de Covid-19

Cet article a été publié dans le bulletin d’informations juridiques sportives LEGISPORT n°147 de Janvier-Février 2021, intitulé « COVID-19 : la parole est à la défense ! ».

Les mondes judiciaire et juridique ont la réputation d’être le fief des mots. Un terme n’est pas employé pour un autre. Il a sa valeur propre et un procès peut être perdu ou gagné sur l’effet d’un mot qui possède sa toute puissance ! La lecture des articles à la formation et des principes de base des contrats mérite d’être faite.

-Article 1101 du Code Civil : Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ;

-Article 1102 : Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public.

-Article 1103 : Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

-Article 1104 : Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.

-Article 1128 : Sont nécessaires à la validité d’un contrat : 1° Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain.

-Article 1130 : L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

-Article 1145 : Toute personne physique peut contracter sauf en cas d’incapacité prévue par la loi. La capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles.

-Article 1146 : Sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi : 1° Les mineurs non émancipés ; 2° Les majeurs protégés au sens de l’article 425.

-Article 1194 : Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi.

-Article 1162 : Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties.

-Article 1163 : L’obligation a pour objet une prestation présente ou future. Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable. La prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire.

La pandémie de Covid 19, un cas de force majeure pour la justice

19 Novembre 2020 : Elegia Formation organise à Paris une journée « Actualité du droit des contrats », avec la participation de Bruno Dondero, Mathias Latina et Jean-Baptiste Seube, tous Professeurs de droit des facultés, ainsi que Vincent Vigneau, conseiller à la 1 ère Chambre civile de la Cour de Cassation. Point d’orgue des débats, animés par Madame Géraldine Lamoril, la pandémie de Covid-19 peut-elle être qualifiée de « force majeure » ou d’ « imprévision » ?

La force majeure (article 1218 du Code civil)   L’imprévision (article 1195 du Code Civil)*  
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ». « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe »

L’ordonnance de référé du Tribunal de Commerce de Paris du 20 Mai 2020, Total Direct Energie c/ EDF (série de cinq décisions) est la première décision à qualifier dans un contentieux commercial la pandémie de Covid-19 d’événement de force majeure. Le juge a admis l’application d’une clause de force majeure dans le contexte Covid-19 pour ordonner la suspension des obligations de paiement et livraisons d’un contrat commercial.

Le Tribunal de Commerce relève notamment dans l’affaire qui lui est soumise :

-sur la diffusion du coronavirus : « nous observons, sans que cela soit contesté, que la diffusion du virus revêt, à l’évidence, un caractère extérieur aux parties, qu’elle est irrésistible et qu’elle était imprévisible comme en témoignent la soudaineté et l’ampleur de son apparition » ;

-la force majeure et l’impossibilité d’exécution : « nous relevons qu’EDF soutient que la crise du Covid19 ne rend pas impossible l’exécution par TDE de ses obligations contractuelles s’agissant notamment de la réception des quantités commandées et du paiement de celles-ci. Nous estimons toutefois que cette analyse ne tient pas compte de la totalité de la définition de la force majeure par l’article 10 du contrat liant les parties qui inclut également l’exécution des obligations dans des conditions économiques raisonnables » ;

-la notion de conditions économiques raisonnables : « nous constatons que cette notion ne fait l’objet d’aucune définition. Son lien avec la survenance d’un évènement de force majeure permet toutefois de supposer un bouleversement des conditions économiques antérieures qui se traduit par la survenance de pertes significatives nées de l’exécution d’un contrat. Nous constatons : ……. Nous estimons que sont manifestement réunies les conditions de la force majeure telle que définie à l’al.1 de l’article 10 de l’accord cadre liant les parties ».

Il y a bien force majeure lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. C’est cette impossibilité, provisoire ou définitive, d’exécuter une obligation qui permet de distinguer la force majeure de l’imprévision car cette dernière concerne une exécution difficile ou plus onéreuse (article 1195 du Code Civil.).

Confirmation en appel

L’ordonnance de référé a été confirmée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 28 Juillet 2020, jugeant notamment : « la définition contractuelle de la force majeure par l’accord liant les parties est d’une acception manifestement plus large que la notion telle qu’elle était retenue en droit civil lors de la conclusion du contrat, puisqu’elle fait référence à l’impossibilité d’exécuter dans des conditions économiques raisonnables et en l’espèce, l’événement de force majeure invoqué est l’épidémie de Covid 19 et les mesures sanitaires et légales drastiques qui ont été prises pour la juguler et ont eu une incidence très importante sur la consommation d’électricité et le niveau du prix de celle-ci. − Il en ressort qu’au regard des éléments de la cause (définition contractuelle de la force majeure, nature de l’événement allégué), il n’apparaît pas que la réalité d’un cas de force majeure au sens du contrat puisse être écartée avec l’évidence requise en référé ».

Lors de la formation Elegia, il a été rappelé également que les parties peuvent : -définir les évènements considérés comme constitutifs d’un cas de force majeure soit pour atténuer leur responsabilité (clause d’élargissement des cas de force majeure) soit au contraire pour aggraver leur responsabilité (clause excluant qu’un événement puisse constituer un cas de de force majeure) ; -déterminer les effets de la force majeure (par ex. suspension de certaines obligations contractuelles pour une période déterminée).

La seule survenance de l’événement visé par la clause constituera la force majeure et emportera les conséquences prévues par les parties sans qu’il y ait lieu de rechercher si le fait répond aux critères légaux de l’article 1218 du Code civil.

Une ordonnance pour proroger les droits

L’ordonnance n°2020-306 du 25 Mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (Journal Officiel du 26 Mars), a été présentée. Article 1er : « les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 Mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 Mars 2020 susvisée…. ». Article 2 : « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.. ». Article 4 : « les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance…sont réputées n’avoir pas pris cours…si…. ».

*L’imprévision est une nouveauté introduite par l’ordonnance du 10 février 2016 qui réforme le droit des contrats. Avec l’article 1195 du Code Civil, la jurisprudence « Canal de Craponne » (Chambre civile, 6 Mars 1876), un des plus grands arrêts de l’histoire du droit français, était « balayée »…

Cet article a été publié dans le bulletin d’informations juridiques sportives LEGISPORT n°147 de Janvier-Février 2021.

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